On s'en souvient trop bien: les concerts ayant marqué le printemps dernier l'inauguration de l'orgue de la Maison symphonique n'avaient pas mis en valeur l'instrument comme tel et s'étaient limités presque exclusivement à sa vocation d'«orgue d'orchestre». Pis encore: l'«oeuvre» (un bien grand mot!) commandée à la Finlandaise Saariaho pour cette importante inauguration s'était révélée d'une scandaleuse platitude: 20 minutes où l'orgue était trop souvent noyé par l'orchestre. À cette déception s'en ajoutèrent d'autres, comme le remplacement du Concerto pour orgue de Poulenc par une piécette d'un certain Moussa appelé d'urgence à sauver l'honneur de la «musique canadienne».

Comme pour réparer tout ce gâchis, l'OSM a prévu pour la présente saison une série de récitals dont le premier était donné jeudi soir par Olivier Latry, l'homme tout désigné pour ouvrir ladite série puisqu'il a collaboré avec la maison Casavant à la conception de l'instrument auquel l'OSM, son propriétaire, a donné le nom de son ancien grand patron, Pierre Béique.

De retour ici comme membre du jury du Concours international d'orgue, M. Latry a trouvé le temps de préparer un substantiel programme de récital. Il l'a livré avec tout le professionnalisme voulu et, surtout, il a fait en sorte que chaque oeuvre mette en relief plusieurs des ressources manifestement illimitées du grand instrument de 83 jeux et quatre claviers - cinq si on compte le pédalier, bien sûr. Bref, grâce à lui, l'orgue a enfin parlé, pour employer le vocabulaire de l'instrument.

Celui de la Maison symphonique comporte deux consoles: l'une à traction mécanique, fixée là-haut parmi les tuyaux de façade, et l'autre à traction électrique et pouvant être déplacée sur la scène. M. Latry donna son récital entier à la console mobile, dos au public. Celui-ci pouvait ainsi suivre ses mouvements sur les claviers et, en même temps, se rendre compte qu'il jouait tout de mémoire.

Mais pourquoi ne pas avoir inclus dans le programme imprimé la composition de l'orgue, c'est-à-dire les noms des claviers et des jeux? Ce sont des renseignements élémentaires, fournis dans tous les récitals d'orgue.

L'organiste nous étonna dès la première oeuvre, Cortège et litanie de Marcel Dupré, en l'assortissant d'un petit carillon absent de l'enregistrement que Dupré lui-même signa en 1959 et en montant un crescendo dépassant en puissance celui de l'auteur, qui disposait pourtant, lui aussi, à Saint-Sulpice, d'un orgue de quelque 6500 tuyaux.

M. Latry mit ensuite à contribution les belles anches du nouvel instrument pour une touchante réalisation du triptyque Prélude, fugue et variation de Franck. Curieusement, quelques dynamiques étaient ignorées, alors que la plupart étaient scrupuleusement respectées.

Les choses allèrent se gâter un peu cependant. Le répertoire d'orgue est d'une étendue et d'une richessse inépuisables. Pourquoi donc s'attarder à tous ces arrangements qui n'y apportent rien et sont souvent de mauvais goût? Du Prélude et Liebestod de Tristan und Isolde, de Wagner, le brave Edwin Lemare suggère d'abord assez bien l'instrumentation originale, pour aboutir à un mélange de jeux évoquant quelque cartoon. Et pourquoi, de Max Reger, ne pas avoir choisi l'une des monumentales créations conçues expressément pour l'orgue? Déjà lourde au piano, la légende Saint François de Paule marchant sur les flots, de Liszt, l'est encore plus, ainsi submergée dans les 32-pieds du pédalier.

De la cinquième Symphonie de Widor, les organistes ne retiennent le plus souvent que la spectaculaire Toccata finale. M. Latry choisit de donner l'oeuvre complète, en cinq mouvements totalisant cette fois 38 minutes. Conjuguant virtuosité, expression, imagination dans le choix des jeux, intériorité même, il transforma en expérience captivante ce qui se ramène souvent à une audition pénible. Chamades éclatantes, irrésistible Voix céleste (comme l'indique Widor), multiples oppositions de claviers et de timbres: tout était là... jusqu'à la conclusion d'une incroyable puissance.

À l'ovation de la salle comble, M. Latry répondit par une improvisation sur un thème qu'on venait de lui apporter dans une enveloppe, soit Le p'tit bonheur de Félix Leclerc. Pleine d'amusantes idées, cette improvisation. Mais beaucoup trop longue: 18 minutes! Cela n'en finissait plus de recommencer!

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OLIVIER LATRY, organiste. Jeudi soir, Maison symphonique, Place des Arts. Présentation: OSM.