Celui qui vous parle ne regrette pas un seul instant d'avoir suivi son intuition et, plutôt qu'un autre voyage à Lanaudière et qu'un autre concert Brahms, d'avoir choisi le programme audacieux d'une jeune organiste à peu près inconnue inscrit à la série estivale de la Basilique Notre-Dame.

Le fait d'avoir passé plus de 60 ans à écouter des concerts et à écrire sur le sujet ne finit-il pas par engendrer une certaine lassitude? Oui et... non. Non, parce que, même après 60 ans, il y a encore place pour la surprise et l'émerveillement.

C'est le cas de Julie Pinsonneault, frêle créature de 22 ans et, déjà, grande organiste. Montant pour la première fois au Casavant de Notre-Dame, la nouvelle venue y a déployé une technique des plus impressionnantes, une incroyable connaissance des immenses ressources de l'instrument, une parfaite aisance à les agencer et les équilibrer, en plus d'une authentique musicalité et de réels dons d'interprète. Cette petite ira loin, très loin.

Elle avait axé son programme - une heure très exactement - sur la musique française du XXe siècle et plus spécifiquement sur différents courants de ce secteur important du répertoire d'orgue, depuis Louis Vierne, dernier représentant des symphonistes, jusqu'au très actuel Thierry Escaich, en passant par le pseudo-mystique Olivier Messiaen et les intellectuels Maurice Duruflé et Jehan Alain.         

Plutôt que de dérouler les pièces en ordre chronologique, l'organiste a cherché à établir une succession de contrastes. Elle commence par placer sur des jeux appropriés le «tristamente» du Prélude de la Suite op. 5 de Duruflé. Un premier Messiaen suit: Le Banquet céleste. Dominique Joubert l'avait joué à la même tribune dimanche dernier, l'ajoutant à son programme, alors que Julie Pinsonneault l'avait inscrit au sien bien avant.

Là comme dans son autre Messiaen, L'apparition du Christ ressuscité à Marie-Madeleine, 11e (et plus longue) des 18 pièces du Livre du Saint Sacrement, la jeune organiste donne un sens à toutes ces formules faciles sorties de l'imagination du «saint homme». Dans les staccatos dits «à la goutte d'eau» (sic) du Banquet céleste, elle marque scrupuleusement l'infime différence entre «bref», «un peu plus long», «long», «court» et «plus long». Dans l'autre Messiaen, sa virtuosité fait surgir une multiplicité de couleurs sur tous les claviers à la fois.

Dans les notes accompagnant son enregistrement intégral des oeuvres de son frère Jehan, Marie-Claire Alain parle de «cri de détresse quasi animal» à propos de la première des deux Fantaisies. Or, Julie Pinsonneault va plus loin encore dans son choix de mixtures pénétrantes. Elle fait sonner le Casavant symphonique de Notre-Dame comme un orgue très moderne et répète l'exploit dans les trois Poèmes d'Escaich remplis d'effets sonores et de contretemps.

Elle conclut avec une solide lecture du finale de la sixième et dernière Symphonie de Vierne. Choix non fortuit: la jeune organiste a remporté en 2011 le Concours Lynnwood-Farnam, nommé en l'honneur de l'organiste québécois (natif de Sutton) à qui Vierne dédia sa sixième Symphonie.

Le récital de Julie Pinsonneault avait attiré un auditoire nombreux qui fit à la débutante une ovation particulièrement chaleureuse. La jeune fille nous quitte aujourd'hui même pour l'Europe: elle étudiera pendant deux ans avec Michel Bouvard à Toulouse.

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JULIE PINSONNEAULT, organiste. Dimanche soir, Basilique Notre-Dame (orgue à traction électropneumatique Casavant (1890-1991); 92 jeux, quatre claviers manuels et pédale).