Commandée par l'Orchestre Métropolitain, qui en fait la création cette semaine, l'oeuvre qu'a produite Éric Champagne est sa toute première symphonie. Le compositeur de 33 ans - aucun lien de parenté avec son illustre prédécesseur Claude Champagne, bien que son père se prénomme aussi Claude! - n'ignore pas que le fait d'écrire une symphonie en 2014, au surplus une oeuvre aux références tonales, le fera passer pour conservateur, rétrograde, passéiste et quoi encore auprès de notre avant-garde musicale.

Cette perspective n'alarme pas, amuse même, le garçon à la corpulence de Louis Cyr qui ponctue sans cesse sa conversation de retentissants éclats de rire.

La nouvelle oeuvre porte à quelque 60 numéros le catalogue déjà imposant du jeune compositeur. Totalisant 30 minutes, elle reprend la structure classique en quatre mouvements où se glissent pourtant quelques innovations. L'auteur explique brièvement: un premier mouvement en forme sonate, avec deux thèmes issus de la même matière musicale; un scherzo, «sorte de galop à la Chostakovitch», mais sans trio central; un mouvement lent «un peu mahlérien», avec un petit rappel du Lacrymosa du Requiem de Mozart.

Ici, il s'arrête. «Ce rappel, il est à la mémoire d'un de mes anciens professeurs. J'y exprime le temps passé, mes années de cégep où je découvrais la musique. C'est un temps pas si loin dont je m'ennuie déjà!»

Ce regard en arrière explique peut-être ce finale qui, dit-il, lui a donné beaucoup de mal. «J'ai finalement choisi une sorte de collage, à la Stravinsky, des trois mouvements précédents. Cela donne une unité au tout.»

Une «salade de fruits»

Éric Champagne écrit dans ce qu'il appelle «une tonalité libre». Sa musique comporte des éléments de tonalité, de polytonalité et d'atonalité; il décrit le résultat comme «une salade de fruits». En fait, cette présence du tonal correspond à sa personnalité de compositeur. «Au fond, je suis un romantique dans l'âme, avoue-t-il. Tchaïkovsky est mon compositeur préféré. Je crois aussi que je suis le plus mélodiste des compositeurs de ma génération. Mais il ne faut pas entendre par «mélodie» un air qu'on chante en sortant du concert! C'est une ligne supérieure, au-dessus des autres, par rapport à l'accompagnement.»

Le catalogue Champagne comprend quelques titres qu'on peut qualifier de descriptifs: Vers les astres, Airs mélancoliques, Clins d'oeil, Craintes et désirs, Exil intérieur, Le cimetière enneigé... Il ne nie pas l'association, mais précise: «Je n'impose rien à l'auditeur.»

Il explique encore: «Je suis comme une éponge. J'écoute beaucoup de musique, je puise à droite et à gauche, surtout des idées d'orchestration. Oui, tous les compositeurs font ça... mais n'osent pas l'avouer! Bien sûr, tout cela est transcendé, exploité d'une façon personnelle.»

Il a composé quelques oeuvres vocales, par exemple un opéra d'après le drame Mademoiselle Julie de Strindberg, mais ses goûts se portent d'abord sur le gros orchestre... bien qu'il travaille présentement à un trio piano-violon-violoncelle que lui a commandé le Trio Fibonacci.

Trois professeurs

Éric Champagne a étudié la composition avec plusieurs professeurs. Il en mentionne trois: Michel Longtin, Denis Gougeon et François-Hugues Leclair. «J'adore la musique de Longtin et son quelque chose de mahlérien. Mais comme professeur... Un jour, je lui apporte une pièce que j'avais écrite pour quelques instruments et une voix de femme. Il me lance: «Tu vas pas maganer ton affaire avec une partie chantée!» Gougeon, lui, ne me disait jamais ce qui ne «marchait» pas dans ma musique. Mais il m'a donné le meilleur conseil de ma vie lorsqu'il m'a dit: «Ton doctorat ne te servira à rien. Tu sais composer.» Finalement, celui dont j'ai le plus appris, c'est Leclair. Nous avons la même vision philosophique de la musique. Il est loin de l'avant-garde.»

Mais encore, qu'est-ce qu'un professeur de composition enseigne, au juste? «C'est une question que je me pose souvent. Il n'y en a pas deux qui enseignent de la même façon. Au fond, je pense que j'aurais pu composer sans eux.»

Combien de gens, ici même, composent de la musique? La réponse ne se fait pas attendre. «Beaucoup trop! Beaucoup trop pour un petit milieu comme le nôtre.»

Quels sont, selon lui, les compositeurs québécois qui comptent vraiment? Là encore, il ne manquera pas d'ébranler certaines convictions. Il nomme, dans cet ordre: Roger Matton qui, mort depuis 10 ans, «me fascine de plus en plus», Michel Longtin, «malheureusement pas assez joué, parce qu'il écrit pour de trop gros orchestres», Serge Arcuri, «à l'écriture très savante et très fine», et Hugues Leclair, «et pas parce qu'il a été mon professeur». Il ajoutera plus tard Claude Vivier, «que je place tout de suite après Longtin».

Pour et contre

Les cinq oeuvres qu'il aime par-dessus tout?

La Symphonie no 6, dite Pathétique, de Tchaïkovsky

La Symphonie no 6 de Mahler

La mer de de Debussy

La Symphonie no 5 de Sibelius

Le Te Deum de Roger Matton

Et celles qu'il déteste le plus?

Tous les opéras de Donizetti, toute la musique d'Alan Hovhaness et celle de John Philip Sousa, Werther de Massenet. Il ajoute: «Tous les Concertos pour piano de Beethoven et encore plus son Concerto pour violon. Et pourtant, j'aime ses Symphonies!»

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La première symphonie d'Éric Champagne est au programme du concert de l'Orchestre Métropolitain donné, ce soir à 19h30, à la Maison symphonique.