Quatre violons, des joyaux valant des millions d'euros créés par des luthiers légendaires dont Stradivarius et Gagliano, se sont «donné rendez-vous» cette semaine à Bucarest pour un festival entrelaçant leurs histoires centenaires avec celles de leurs maîtres, de réputés violonistes roumains.

«L'idée de ce festival est née lorsque j'ai découvert que plusieurs musiciens roumains jouent sur des violons italiens de collection et ont des positions privilégiées dans des orchestres européens», a déclaré à l'AFP la directrice artistique des Orchestres et des Chorales de la Radio roumaine, Oltea Serban-Parau.

«Cet événement permettra au public d'apprendre leurs histoires», a-t-elle ajouté.

Liviu Prunaru, premier violon solo du Concertgebouw d'Amsterdam, jouant sur un Stradivarius datant de 1694, et Gabriel Croitoru, le fier possesseur d'un Guarneri del Gesù datant de 1731 ayant appartenu au célèbre compositeur roumain George Enescu, ont croisé leurs archets lors d'un «duel» comprenant notamment la Sonate pour deux violons de Sergueï Prokofiev.

Également à l'affiche, Bogdan Zvoristeanu, premier violon de l'orchestre de Suisse romande, qui joue sur un Gagliano datant de 1761, et George Cosmin Banica, premier violon de l'orchestre Tonhalle de Zurich, avec son Testore datant de 1710.

«J'imagine bien qu'il s'agit de plusieurs millions d'euros qui défilent ces jours-ci sur la scène de la Salle Radio», souligne Mme Serban-Parau.

Elle assure toutefois que la présence au même endroit de ces violons ne pose pas de problème spécial de sécurité, car si ces instruments sont particulièrement précieux ils sont aussi «tellement connus qu'il serait impensable qu'ils soient volés pour être vendus au marché noir».

Toutefois, ajoute-t-elle, «les violonistes ne s'en séparent quasiment jamais, même dans l'avion, ce qui pose problème à certaines compagnies aériennes».

Après avoir joué pendant 16 ans sur un Guarneri, M. Prunaru, 43 ans, s'est vu offrir par l'orchestre d'Amsterdam un Stradivarius, baptisé «Pachoud».

«Je me suis demandé pourquoi ce violon est venu vers moi, j'aime croire que c'est parce que j'étais préparé à l'accueillir alors que j'approchais mes 40 ans», confie à l'AFP M. Prunaru, gagnant de plusieurs grands prix internationaux.

Passer d'un violon à l'autre n'a pas été facile car chacun a ses propres caractéristiques, explique-t-il, ajoutant s'interroger toujours sur ce qui fait la «magie» d'un Stradivarius.

«Il faut comprendre l'instrument, créer une complicité avec lui», dit le musicien qui pense avoir «exploité les derniers recoins du violon pour chercher le son et lui donner la forme la plus belle».

Pour Gabriel Croitoru, 45 ans, premier violon du philharmonique de Ploiesti qui a également joué avec les orchestres de Monte-Carlo, de Séville et de Cannes, la première rencontre avec le Guarneri d'Enescu, baptisé «la Cathédrale», fut encore plus émouvante.

«Je pensais, ému, que nous nous trouvions dans la chambre de musique du maestro, où il avait certainement souvent joué, et que peut-être il nous entendait ou nous voyait», raconte-t-il à l'AFP.

«Savoir qu'un artiste si célèbre a été parmi les derniers à toucher cet instrument me fit souhaiter être à la hauteur» ajoute-t-il.

Cet instrument, qui était resté enfermé dans sa boîte pendant 50 ans après la mort d'Enescu, a «réveillé en moi des sentiments et des émotions qu'autrement je n'aurais pas pu exprimer», tandis que le violon lui-même a «gagné en qualité» en vibrant à nouveau.

Comme lui, M. Prunaru estime que chaque musicien «laisse un peu de son âme dans un instrument».

«Qui sait qui a joué sur mon violon avant moi? Et je ne pense pas uniquement en termes de virtuosité mais aussi d'attachement, d'amour que cette personne a mis dans cet instrument», dit-il. «Si on a de la sensibilité (...) c'est toute une histoire qu'on peut sentir».