Arnaldo Cohen ouvrait hier la 121e saison du Ladies' Morning Musical Club, faisant du même coup ses débuts à Montréal. Le pianiste brésilien s'était déjà produit à Québec et à Lanaudière. Montréal l'avait accueilli deux fois, mais comme juge de concours.

Il y a quelques jours, le LMMC faisait savoir que son invité modifiait la moitié du programme qu'il avait d'abord annoncé. Le Bach et le Brahms étaient maintenus, mais l'autre moitié, où figurait principalement la septième Sonate de Prokofiev, était remplacée par les quatre Scherzos de Chopin.

Quelle que soit la raison de ce remplacement, M. Cohen ne choisissait certainement pas la voie facile: les quatre Scherzos de Chopin appartiennent en effet à la même catégorie d'oeuvres que les Variations Handel de Brahms, c'est-à-dire les plus épouvantablement difficiles qui soient.

Ce que ces pages extrêmement touffues exigent du pianiste, notamment sur les plans de la vélocité et de la force musculaire, est quasi inhumain. À cet égard, M. Cohen fut continuellement à la hauteur de la situation. Il maintient constamment la plus parfaite indépendance des deux mains et exploite au maximum l'ambitus complet du clavier, le faisant rugir comme une bête au très grave et tinter comme une clochette au suraigu.

Bref, nous écoutons un technicien complet et brillant, un interprète d'abord au service de la musique et un artiste des plus respectables - ce qu'on appelle un «pur». Et pourtant, le récital m'a laissé indifférent. Malgré toutes ses qualités, M. Cohen ne confère aucune intéressante dimension pianistique à la Partita de Bach (musique de clavecin dont on peut faire «autre chose» !) et apporte très peu d'imagination et de variété aux Variations de Brahms. Les quatre Scherzos de Chopin occupent l'après-entracte. Le public du LMMC est certainement le seul dans tout Montréal à respecter l'unité recherchée en réservant ses applaudissements pour la toute fin. Le silence était des plus édifiants. Le pianiste a dû l'observer. Raison de plus pour donner le meilleur de lui-même. Le jeu était sincère, je n'en doute pas un instant, mais il était trop souvent bousculé, agressif même, et marqué de fausses notes, comme dans le Brahms et même dans le Bach. Un certain sarcasme pointa finalement dans le dernier Scherzo.

Pour résumer: le mauvais récital d'un grand pianiste... qui donna en rappel, et sans l'identifier, un amusant petit mouvement perpétuel d'Ernesto Nazareth, obscur compositeur et pianiste brésilien (1863-1934), intitulé Apanhei-te Cavaquinho.

ARNALDO COHEN, pianiste. Hier après-midi, Pollack Hall de l'Université McGill. Présentation: Ladies' Morning Musical Club. Programme: Partita no 1, en si bémol majeur, BWV 825 (1726) - Bach Variations et Fugue sur un thème de Handel, op. 24 (1861) - Brahms Scherzos nos 1, 2, 3 et 4 (1831-1842) - Chopin