La Virée classique de l'Orchestre Symphonique de Montréal -- 20 concerts de 45 minutes chacun (en principe!) présentés simultanément, hier, dans trois salles de la Place des Arts -- fut un magnifique succès de public : plus de 15 000 personnes ont suivi les concerts, la moyenne d'assistance étant de 95 pour cent. Aux concerts auxquels j'ai pu assister, soit 10 sur 20, j'ai noté partout le même silence absolu chez ces auditeurs venus de tous les milieux, généralement d'un certain âge, auxquels se mêlaient aussi beaucoup de jeunes. En fait, la qualité d'écoute était très supérieure à tout ce que j'observe en saison chez nos différents organismes.

Quatre concerts étaient donnés par Kent Nagano et l'OSM à la Maison symphonique de 2 000 sièges. Plus intimes, le Studio-Théâtre et la Cinquième Salle recevaient la musique de chambre et les récitals.

Ma «journée musicale» a commencé à 12 h avec la jeune pianiste Marika Bournaki que j'ai connue, disons, quelque peu effrontée. Technicienne accomplie et musicienne très décente, elle est en train de devenir, à 21 ans, une pianiste sérieuse.

Une heure plus tard, d'Allemagne, le violoniste Christian Tetzlaff, sa soeur Tanja au violoncelle et le pianiste Lars Vogt abordaient le Trio op. 65 de Dvorak avec la meilleure volonté du monde, mais sans convaincre, comme le font les musiciens de tradition slave. Au surplus, un pédalier endommagé empêche le pianiste de jouer normalement pendant une partie du concert.

Un bref arrêt au restaurant me mène à 15 h et à un autre trio, formé celui-là de membres de l'OSM : Marianne Dugal au violon, Sylvain Murray au violoncelle et Olga Gross au piano, dans le premier Trio élégiaque de Rachmaninov, très senti, malgré quelques écarts de justesse au violon, et l'unique Trio de Ravel, qui nous vaut de beaux moments de fusion parfaite entre les trois instruments.

Je passe ensuite au violoncelle. Avec Nagano et l'OSM, Tanja Tetzlaff s'embourbe dans quelques traits périlleux des Rococo de Tchaïkovsky mais, pour l'ensemble, se défend honorablement. Je quitte en hâte et rejoins Stéphane Tétreault à la deuxième page de la Sonate de Franck. Pénétrant de plus en plus les immenses ressources de son fameux Stradivarius, le génial garçon de 19 ans livre le Franck comme s'il avait été effectivement conçu pour le violoncelle, alors qu'il l'a été pour le violon. Même chose pour la Méditation deThaïs, qu'il fait surgir du coeur même de l'instrument. Mention très spéciale à son calme et agissant pianiste, Oleksandr Guydukov.

Nouveau saut vers une autre salle où Nagano, cette fois avec 10 musiciens de l'OSM, donne la rare cantate profane Le Bal masqué de Poulenc et l'interminable Histoire du soldat de Stravinsky. Le Poulenc est une nullité, le texte de Max Jacob, une absurdité, et la voix de François Le Roux, celle d'un sous-Souzay. Mais les vents et les percussions sont partout brillants; dans le Stravinsky, le violon de Marianne Dugal est désinvolte, comme il se doit. Nagano dépasse cependant de 10 minutes la durée du concert...

Nous voici rendus à 19 h. En route vers le récital du pianiste Serhiy Salov, je happe le début du Schumann -- le cycle Frauenliebe und Leben - de Marianne Fiset. La voix est jolie, mais sans caractère, et la chanteuse et sa pianiste Marie-Ève Scarfone n'ont pas assez travaillé. Je quitte au troisième lied. Salov traverse l'«injouable» Islamey de Balakirev et la suite Tableaux d'une exposition de Moussorgsky avec une force terrifiante - ou dirait quatre mains sur le piano! --, mais aussi d'étonnantes nuances. Il donne même un Scriabine en rappel.

Technicien aussi fort, mais plus raffiné, Marc-André Hamelin était programmé deux fois dans la journée. J'ai entendu sa deuxième prestation, celle de 20 h 30. La transcription pour piano de la magistrale Fantaisie et Fugue en sol mineur pour orgue de Bach est lourde et inutile. Par contre, sa Sonate de Liszt est plus éloquente et plus fine encore que sur son enregistrement.

Mauvais calcul : Hamelin termine à 21 h 15 et l'OSM attaque le concert final à 21 h 15 également. Par miracle, on ne manque rien de l'ouverture de Guillaume Tell lancée par un Nagano inhabituellement déchaîné. Par chance aussi : ce sera le meilleur moment du concert où, là encore, Nagano prend presque une heure au lieu des 45 minutes réglementaires. Le Triple Concerto de Beethoven trouve Lars Vogt en forme, mais les grincements des deux Tetzlaff sont indignes de musiciens professionnels. C'est le point final plutôt médiocre d'une journée qui fut pourtant exaltante... et qui reviendra l'an prochain.