L'Orchestre du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg et son chef Valery Gergiev nous revenaient hier soir, un an et demi après une première visite le 14 mars 2010 à l'«ancienne» salle Wilfrid-Pelletier. Cette fois, le Mariinsky devenait le premier orchestre étranger à se produire dans la nouvelle salle de la Place des Arts, cette «Maison symphonique de Montréal» au nom difficile à retenir...

Gergiev avait consacré le programme à Tchaïkovsky, compositeur national de la Russie s'il en est, et s'était limité à deux symphonies, la première et la dernière, c'est-à-dire, respectivement, l'une des moins connues, celle des Rêves d'hiver, et la plus célèbre des six, la Pathétique. Ce programme a été donné récemment à Carnegie Hall et sera repris ce soir même à Ottawa, dans le cadre d'une nouvelle tournée nord-américaine de l'orchestre de 85 musiciens.

Depuis 1960, soit depuis un demi-siècle, Montréal a reçu quelques-uns des plus célèbres orchestres russes : l'Orchestre symphonique d'État d'URSS, l'Orchestre Philharmonique de Leningrad (aujourd'hui Saint-Pétersbourg) et l'Orchestre Philharmonique de Moscou. Ces orchestres - et les disques sont là pour rafraîchir nos mémoires - se sont toujours distingués par une sonorité sombre et, même si l'on assiste de plus en plus à une sorte de «mondialisation» du son orchestral, le Mariinsky s'inscrit dans cette tradition qui mérite d'être préservée.

Le Mariinsky jouait hier soir devant une salle absolument comble: 2 100 personnes. On m'avait de nouveau placé au parterre. Cette fois, l'odeur de vernis de jeudi soir dernier avait disparu. Mais je suis sûr que le son était encore meilleur à la corbeille. Quoi qu'il en soit, ce que j'ai entendu était pleinement satisfaisant à tous égards.

À son habitude, Gergiev dirige sans baguette, sculptant le son de ses deux mains libres. Il a la partition de Rêves d'hiver devant lui, mais il ne l'a pas pour la Pathétique. Les paysages hivernaux de son enfance que Tchaïkovsky évoque dans sa première Symphonie donnent à l'ensemble l'allure d'une musique de ballet, notamment au Scherzo où les bois russes «dansent» d'une façon exquise. Pourtant, la tragédie vers laquelle marche le compositeur est déjà là et Gergiev ne manque pas de nous le rappeler: il fait véritablement surgir l'effrayant appel du cor vers la fin du deuxième mouvement («ff marcato», dit la partition) et souligne le rôle des cordes graves.

Cette juxtaposition des première et dernière symphonies, séparées par une vingtaine d'années, ne peut être fortuite. Dans la vision de Gergiev, ces innocents Rêves d'hiver préparent au drame de la Pathétique. À l'OSM en février 2007, Gergiev avait dirigé une Pathétique fort impressionnante mais maniérée: l'effort pour émouvoir restait trop évident. Cette fois, j'ai été davantage convaincu. Le basson lugubre qui ouvre seul la symphonie et qui reviendra, menaçant, à la toute fin, le cri soutenu des violons, le murmure des cordes graves, le désespoir qui monte des bois et des cuivres: tous ces éléments confèrent à l'oeuvre autobiographique une force qui nous plonge dans les abîmes.

Dans un geste un peu théâtral, le dernier élan de Gergiev se fige complètement sur les dernières mesures «pianissimo». Le silence de glace est hélas! rompu par quelques applaudissements perdus qui s'arrêtent aussitôt pour laisser parler ce silence plus éloquent que tous les applaudissements du monde. Bien sûr, c'est ensuite l'ovation, qui rappelle Gergiev plusieurs fois, mais sans qu'il y ait de «bis», comme c'est la coutume chez les orchestres en tournée.

L'architecte torontois Jack Diamond, qui a conçu notre nouvelle salle et signera bientôt le nouveau Mariinsky, assistait au concert.

ORCHESTRE DU THÉÂTRE MARIINSKY. Chef d'orchestre: Valery Gergiev. Samedi soir, Maison symphonique de Montréal, Place des Arts. (Radiodiffusion : Radio-Canada, 28 novembre, 20 h.)

Programme consacré à Piotr Illitch Tchaïkovsky (1840-1893):

Symphonie no 1, en sol mineur, op. 13 (Rêves d'hiver) (1866, rév. 1874)

Symphonie no 6, en si mineur, op. 74 (Pathétique) (1893)