Au concert de musique de chambre que donnent des musiciens de l'OSM au Queen's Hall d'Édimbourg, un monsieur s'approche: «Vous êtes de Montréal? Vous allez bientôt avoir une nouvelle salle de concert, n'est-ce pas? Saviez-vous que Kent Nagano a déjà inauguré la nouvelle salle de Manchester?»

Dans le taxi qui le mène à l'aéroport ce jour-là, Kent Nagano ne s'étonne pas le moins du monde que des mélomanes écossais soient au courant de l'existence d'une nouvelle salle de concert à Montréal: «J'arrive du festival de Salzbourg où tout le monde me parlait de la nouvelle salle de Montréal. Une nouvelle salle de concert dans sa ville, pour la plupart des gens, ça n'arrive qu'une fois dans une vie. Si jamais on construit une autre salle à Montréal, ça ne se fera probablement pas avant 100 ans!»

Maestro Nagano est bien au fait de la longue saga de la nouvelle résidence de l'OSM qui sera finalement inaugurée le 7 septembre. «Dès mon arrivée, on m'a raconté les efforts déployés, les projets inachevés, raconte-t-il. C'est pour ça que relativement tôt, avec l'OSM, j'ai relancé la discussion. Je sentais que l'évolution de ce magnifique collectif de talents allait traîner si on ne lui donnait pas un instrument à sa mesure. C'est exactement comme pour un pianiste: s'il n'a pas un piano qui lui permet de passer à un autre niveau, il est limité. Pour moi, la priorité pour l'OSM, c'est de pouvoir développer en même temps son son et son identité. C'est ce que fait Vienne depuis des siècles avec le Musikverein, et pour la première fois, nous allons avoir cette chance.»

Il estime que l'OSM, fort d'une tradition de 78 ans, a bien mérité cette nouvelle salle. Mais, ajoute-t-il aussitôt, ce n'est pas parce qu'on mérite quelque chose et qu'on en a besoin qu'on l'obtient. «C'est une prise de position majeure de la part de Montréal et du Québec. Je suis très impressionné.»

Kent Nagano ne veut surtout pas paraître ingrat envers la salle Wilfrid-Pelletier dont il salue «la grande histoire» depuis l'époque de Wilfrid Pelletier lui-même. «Mais même si on accorde une grande valeur au passé, il ne faut pas arrêter d'évoluer. Aujourd'hui, la salle de concert idéale est différente de ce qui était approprié il y a 40 ans et, heureusement, notre public en veut davantage, il réclame une expérience qui permette Mozart, qui permette Haydn, qui permette un solo de sitar. La construction de cette salle en dit long sur l'évolution de Montréal.»

Kent Nagano fonde les plus grands espoirs sur cette nouvelle salle qui «va sonner comme le Québec» puisqu'elle est entièrement faite de matériaux d'ici. Mais, comme pour les meilleurs instruments de musique, il sait qu'il faudra faire des ajustements à la salle et que son orchestre devra s'y adapter. «C'est la troisième salle que je vais inaugurer (NDLR: l'Opéra de Lyon et le Bridgewater Hall de Manchester) et ça prend normalement d'un an et demi à deux ans avant de pouvoir en exploiter pleinement le potentiel.»

Des solistes de renom ont manifesté le désir d'être de la saison inaugurale de l'OSM dans sa nouvelle résidence, mais l'orchestre a toujours accueilli de grands invités, rappelle Kent Nagano. Deux de ses prédécesseurs, Raphael Frühbeck de Burgos et Franz-Paul Decker, seront de la partie, mais pas Charles Dutoit ni Zubin Mehta. «Malheureusement, pour eux, ce n'était pas possible, répond le chef actuel. Ils sont très occupés. On espère que ce n'est que partie remise parce que tout le monde a fait sa part pour faire de l'OSM ce qu'il est aujourd'hui. Charles Dutoit a été essentiel dans l'histoire de l'orchestre. Je sais que quelques appels pour une nouvelle salle ont été lancés par monsieur Dutoit et maintenant qu'on en a une, ça serait tout naturel qu'il puisse en profiter lui aussi. Il faut, je crois, que les circonstances et le timing soient propices.»

Autre avantage de la nouvelle salle, l'OSM pourra désormais répéter sur la scène plutôt que dans une salle de répétition de la Place des Arts qui, reconnaît le chef, n'avait rien de commun avec la salle Wilfrid-Pelletier. Cela dit, l'OSM a développé une remarquable faculté d'adaptation à un changement de décor radical que le maestro a encore constatée récemment à Édimbourg: «J'ai vécu l'expérience contraire avec des grands orchestres qui sont habitués de jouer et de répéter dans une acoustique formidable et qui soudain, en tournée, se retrouvent dans une salle où l'acoustique est mauvaise. C'est très difficile pour eux.»

Kent Nagano fait une pause, puis il ajoute dans un large sourire: «J'espère que l'acoustique va être formidable dans notre nouvelle salle de concert, mais qu'on ne sera pas trop gâtés...»

Vos salles préférées?

Les grandes salles comme le Musikverein de Vienne, le Concertgebouw d'Amsterdam et le Boston Symphony Hall sont toutes différentes, mais en général, leur forme est assez similaire et on y ressent une sensation d'intimité, de proximité entre la scène et le public. Musiciens et spectateurs partagent le même espace. Mais je ne dis pas que ce sont les meilleures salles. C'est comme si on vous demandait quelle est la meilleure glace au monde? Fraise? Vanille? Abricot?

À quelle salle celle de Montréal vous fait-elle penser?

Elle est liée à la grande tradition européenne: une forme plutôt rectangulaire avec un plafond très haut, une acoustique générée par un design traditionnel et une sensation d'intimité avec le public. C'est ça, une grande salle. Donc, la nouvelle salle a une certaine similarité avec les trois salles que j'ai mentionnées précédemment, mais c'est une salle unique à Montréal.

Concert inaugural

Le concert inaugural de l'OSM dans sa nouvelle résidence, mercredi, sera diffusé en différé à compter de 20 h 15 sur un écran géant installé au Parterre du Quartier des spectacles, rue Saint-Urbain. La première partie sera consacrée à trois oeuvres québécoises des compositeurs Claude Vivier, Gilles Tremblay et Julien Bilodeau. Par la suite, l'OSM jouera la Neuvième symphonie de Beethoven accompagnée d'une performance en direct du Cirque Éloize. Ce concert sera diffusé à la télévision, à la radio et sur le site web de Radio-Canada.

Portes ouvertes

L'OSM invite le public à visiter gratuitement sa nouvelle résidence au cours de trois journées portes ouvertes les 8 (14 h à 21 h), 9 (12 h 30 à 18 h) et 10 septembre (13 h à 18 h). En plus de la visite guidée, les gens pourront y entendre des ensembles musicaux des 17 régions du Québec.

JACQUES LAVALLÉE, percussionniste

Avec l'OSM depuis 1976

VOS SALLES PRÉFÉRÉES?

La Philharmonie de Berlin à l'acoustique parfaite. Et le Carnegie Hall de New York où le son s'envole tout de suite vers la salle. Les musiciens le sentent, ils n'ont pas besoin de forcer.

À QUELLE SALLE CELLE DE MONTRÉAL VOUS FAIT-ELLE PENSER?

Il y a en Europe plusieurs bonne salles de style shoebox où la scène fait partie de la salle, contrairement à Wilfrid-Pelletier. Je pense à la Tonhalle de Zurich, au Konzerthaus de Vienne. Il y a moins de perte de son et les réverbérations sont meilleures en général. Si on réussit à combiner la forme shoebox à des systèmes de réverbération comme à Berlin, ça devrait être une salle fantastique.

LINDSEY MEAGHER, contrebassiste

Avec l'OSM depuis 1974

VOS SALLES PRÉFÉRÉES?

Le Carnegie Hall de New York, très classique, à l'acoustique parfaite. Dans une très bonne salle de concert, le son va de la scène au public, mais il en reste suffisamment sur la scène pour procurer au musicien une satisfaction mais aussi lui faire goûter à toutes les petites nuances du son.

À QUELLE SALLE CELLE DE MONTRÉAL VOUS FAIT-ELLE PENSER?

C'est une salle rectangulaire, vraiment haute mais pas très profonde. Elle me fait un peu penser à la salle de Francfort.

RICHARD ROBERTS, violon-solo

Avec l'OSM depuis 1982

VOS SALLES PRÉFÉRÉES?

Le Musikverein de Vienne, le Concertgebouw d'Amsterdam, le Carnegie Hall de New York, le Symphony Hall de Boston, le Suntory Hall de Tokyo. Et, curieusement, le Grady Gamage Hall de l'Université Arizona State (dessiné par Frank Lloyd Wright). C'est une des meilleures salles: on y a fait des tests d'acoustique tellement on ne pouvait croire que c'était si bon.

À QUELLE SALLE CELLE DE MONTRÉAL VOUS FAIT-ELLE PENSER?

Je souhaite qu'elle ressemble à celle de Vienne, ma préférée. Je croise les doigts, Mais si ça sonne comme au Carnegie Hall de New York, je serai content.

ANDRÉ MOISAN, clarinettiste

Avec l'OSM depuis 1977

VOS SALLES PRÉFÉRÉES?

La Herkulessaal de Munich, une ancienne salle de rassemblement d'Hitler. L'Orchestre symphonique de Munich l'a quitté pour emménager dans une nouvelle salle, le Gasteig, un désastre. La Tonhalle de Zurich est superbe et le Japon en a de merveilleuses, notamment à Sapporo où l'acoustique est ex-tra-or-di-nai-re! Et j'ai beaucoup aimé la salle de Francfort.

À QUELLE SALLE CELLE DE MONTRÉAL VOUS FAIT-ELLE PENSER?

À celle de Sapporo, un véritable bijou architectural et sonore. Sapporo est légèrement différente au plan architectural, mais pour l'acoustique, je pense que ça va être semblable à Sapporo et aux meilleures salles où on a joué en Suisse ou en Allemagne.