Tristan Malavoy n'est jamais loin de l'écriture. En plus de publier ses propres livres, l'ex-critique littéraire dirige la maison d'édition Quai n5 et collabore régulièrement aux textes de plusieurs auteurs-compositeurs-interprètes. Il lancera jeudi un livre-disque, L'école des vertiges, un projet hors norme aussi séduisant qu'intrigant.

«Je comprends les mots, je me sens proche d'eux», nous dit Tristan Malavoy qui, même s'il joue de la musique depuis son adolescence, est venu à la chanson d'abord par les paroles. «Je ne comprends pas ceux qui écrivent des musiques, puis qui plaquent des textes dessus. Mon projet est un projet d'écriture d'abord.»

Tristan Malavoy nous accueille dans son atelier du Mile End. C'est là qu'il a travaillé avec Ariane Moffatt sur les textes de son plus récent disque, 22 h 22. «C'est une fille qui a beaucoup d'intuition, raconte-t-il. C'est électrique de créer avec elle. J'ai retiré ça de cette expérience, le goût d'être moins dans la raison.»

C'est aussi à cet endroit qu'il a entrepris d'écrire son prochain roman. Mais les 10 chansons de L'école des vertiges, elles, ont été fabriquées ailleurs.

«En analysant ça, je me suis rendu compte que toutes les chansons, sans exception, avaient été écrites en voyage.» C'est ainsi qu'est née l'idée d'un livre qui accompagnerait le disque, où il raconterait des anecdotes de voyage et son état d'esprit au moment de la création des chansons.

«C'était piégeux un peu, admet-il. Avec mon directeur littéraire chez l'Hexagone, Alain-Nicolas Renaud, on a voulu éviter de tomber dans le making of. Ça n'aurait pas eu d'intérêt, et ça aurait été très prétentieux. C'est toujours dangereux de dire aux gens: voici ce que tu devrais comprendre de mon oeuvre. Il fallait faire quelque chose de périphérique aux chansons.»

L'idée était donc d'offrir une «destination supplémentaire» pour les accompagner, dans un livre qui évoque le carnet de voyage. En cette époque où les disques physiques ne se vendent plus, il a eu le souci de créer un livre soigné et attrayant. «On s'est dit: pourquoi ne pas proposer autre chose à tous ces gens qui sont encore attachés aux objets? Il fallait donc qu'il soit désirable.»

Points de bascule

Écrites en déplacement, les chansons de Tristan Malavoy ne parlent cependant pas, ou peu, de voyage. L'auteur-compositeur-interprète s'intéresse davantage au sentiment amoureux... et à la fin de l'amour. 

«Beaucoup de mes amis ont vécu des choses difficiles sur le plan amoureux ces dernières années, et c'est devenu une des thématiques du disque. J'ai beaucoup réfléchi à ça, aux ruptures qui laissent des marques, et à la nécessité de se rebâtir.»

Le cartésien en lui aime bien les points de bascule, se mettre en danger dans des moments de déséquilibre. D'où le titre du disque, L'école des vertiges. «Ça a l'air gros, mais c'est pour ça que je l'ai choisi: ça dit bien l'idée d'apprendre le vertige, de l'apprivoiser. Et le vertige comprend les grandes émotions de la vie, comme l'amour et le désamour.»

Que peut-il dire en chanson qu'il ne dit pas en fiction? «Le moment.» La fiction, croit-il, conduit à une émotion, alors que la chanson, plus directe, est «comme un obturateur» qui s'ouvre directement sur l'instant présent.

«Une bonne chanson touche au but directement. Ce n'est pas un discours. Ça s'adresse d'abord à l'émotion, au coeur, même les chansons à texte plus écrites, comme du Ferré.»

Tristan Malavoy, qui compose aussi toutes ses musiques - «mais des musiciens bien meilleurs que moi mettent ça en place» - s'est tricoté au fil des années une petite place dans l'univers chansonnier: L'école des vertiges est son troisième disque en 10 ans.

«C'est peut-être celui où je suis le plus dans la chanson, alors que les précédents étaient dans le spoken. J'imagine que c'est un genre que j'endosse de façon plus assumée. Je n'ai pas de grande prétention de chanteur, mais ce qui est intéressant, c'est de ne pas faire comme les autres.»

Chaque chanson a été traitée comme un «petit tableau» par le réalisateur Philippe Brault, qui tenait à garder les textes au premier plan. «D'où un certain dépouillement dans les arrangements», dit Tristan Malavoy, qui aime qu'on dise de lui qu'il fait «de la chanson lettrée» et qui assume l'apparente fragilité de sa voix.

Jamais il n'a eu envie de confier ses 10 chansons à un interprète. «Les voix qui véhiculent quelque chose dans le fragile, je trouve ça intéressant. Je suis super ouvert à travailler avec d'autres, mais ça, c'est mon projet.» 

L'école des vertiges prendra vie sur scène bientôt, mais, en attendant, Tristan Malavoy ne sait pas comment il sera reçu. «Comment les gens vont aller vers ça, comment ils vont le consommer, comment va se vivre l'expérience? C'est un beau point d'interrogation. Je suis content du résultat, des collaborations [avec Émilie Bibeau et Caracol, entre autres]. J'espère qu'on va réussir à répandre la bonne nouvelle. C'est une proposition particulière, mais parfois ce sont celles qui se faufilent le mieux.»

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CHANSON. Tristan Malavoy. L'école des vertiges. L'Hexagone et Audiogram.

IMAGE FOURNIE PAR L’EXAGONE ET AUDIOGRAM

L'école des vertiges, de Tristan Malavoy