Le parcours de Mike Hadreas, alias Perfume Genius, est celui d'un miraculé de la musique. Dès l'école secondaire, assumer publiquement son homosexualité lui a valu une adolescence horrible, traversée par la cruauté de ses camarades, l'intimidation, la violence physique, la détresse psychologique. Démoli, il a quitté l'école secondaire, déserté sa banlieue de Seattle pour finalement prendre la fuite.

Au tournant de la vingtaine, il a vécu à New York un moment et... n'ayant pas grand-chose devant lui, il a dû se résoudre à rentrer à la maison. Un jour, il a trouvé l'énergie de bricoler quelques maquettes de musique, les a mises en ligne vers 2008 et... Déclic inattendu. En 2010, il lançait l'album Learning, début d'une véritable ascension.

«Ce que j'avais alors rendu public fut un premier travail professionnel, jamais accompli auparavant: premières chansons vraiment peaufinées, premières séances d'enregistrement, premières interprétations en public, etc. Tout était nouveau pour moi, je n'avais aucune idée de ma valeur artistique. Je m'étais mis à chanter, j'avais ouvert les vannes, et voilà», raconte-t-il, joint mercredi à Detroit, soit le premier jour d'une tournée qui l'amènera ce soir à Montréal.

Cette tournée de Perfume Genius suit de très près la sortie de No Shape, quatrième opus studio (sous étiquette Matador) acclamé par la critique anglo-américaine.

«J'y ai tenté de nouvelles choses: nouveaux patterns mélodiques, nouveaux accords, etc.», explique-t-il. 

«J'ose croire avoir atteint l'âge adulte d'un point de vue artistique, car je n'ai pas sacrifié l'émotion et l'intuition au profit de l'apprentissage technique. Je réalise finalement pouvoir mener de front les deux démarches.»

On ne peut que lui donner raison! Les autodidactes qui atteignent de tels standards de créativité sont rarissimes. Perfume Genius est manifestement un exemple à part.

«À force de répéter et d'apprendre, explique-t-il humblement, j'ai fini par maîtriser un tant soit peu cette profession. J'ai fini par croire en moi, par me trouver meilleur que je ne le pensais au départ. Je suis heureux d'avoir osé, d'avoir plongé.»

Évidemment, le travail, le courage et l'acharnement ne suffisent pas à propulser quiconque dans la stratosphère de la pop de création. En ce sens, l'artiste de 35 ans fait preuve d'une douance bien réelle et d'une propension évidente au raffinement et à la sophistication.

«J'ai toujours été séduit par des musiques plus complexes, sans prétendre les maîtriser pour autant. J'imagine que ça m'a tiré vers le haut plutôt que vers le bas. J'aime les musiques qui viennent du monde entier, les complexes comme les simples. Je traîne toujours avec moi une collection de musiques inspirantes, qui m'aident à composer.»

D'Elvis à Bruce

Pour la création de No Shape, il cite parmi ses influences marquantes tant les compositeurs post-minimalistes et les voix bulgares qu'Elvis et Bruce Springsteen!

«Cette fois, souligne-t-il en outre, je visais une instrumentation plus ambitieuse et plus diversifiée. Je voulais des arrangements audacieux, une grande variété d'instruments. Avant d'entrer en studio, j'avais cartographié les musiques de mes chansons, j'avais fait en sorte que les musiciens en studio puissent jouir d'un maximum de liberté après avoir absorbé les mélodies, les accords, les textes. Ce fut très excitant de voir tout ça prendre forme.»

Le guitariste Blake Mills, un des réalisateurs de l'heure (Fiona Apple, John Legend, Laura Marling, etc.), s'est totalement investi aux côtés de Mike Hadreas dans cet excellent No Shape. Force est d'observer que leur direction artistique puise dans l'art-pop, le glam-rock, le psyché-folk comme dans la musique de chambre post-minimaliste. Éclaté, dites-vous?!

«Blake, soulève son employeur, a parfaitement saisi d'où je venais émotionnellement. Il a aussi compris l'intention que j'avais pour chacune de mes chansons en posant des défis techniques à tous ses exécutants. Je lui avais suggéré mes maquettes, lui ai transmis mes idées et les arrangements de cordes de Rob Moose, après quoi il y a ajouté des éléments très créatifs, parfois étranges... Exactement ce à quoi je m'attendais de sa part.»

On aura déduit que Mike Hadreas préfère laisser s'exprimer ses collègues pour ainsi catalyser leur motivation, leur engagement et leur enthousiasme. 

«Je sens néanmoins que j'ai acquis une maîtrise dans tous les aspects de mon art, y compris les vidéos que j'ai imaginées. Tout ça est fondé sur le travail et la pratique, j'imagine, combinés à mon énergie créative. Cela a produit paradoxalement une liberté sauvage que je cherchais depuis longtemps.»

L'accomplissement créatif de Perfume Genius transcende donc largement son identité sexuelle, quoique...

«Mon homosexualité fait partie de mon art, elle est assurément indissociable du reste de mon expression. Il m'importe de l'évoquer dans mes chansons, car je crois que cela peut aider ceux et celles qui vivent des choses semblables aux miennes. Lorsque j'avais 13 ou 14 ans, vous savez, j'aurais aimé découvrir des artistes comme moi. Cela m'aurait permis de mieux assumer ma spécificité. Bien entendu, ce n'est pas tout, mon ambition est plus vaste.»

_____________________________________________________________________________

Au Théâtre Fairmount, ce soir, 20 h, précédé de Serpent With Feet.

POP. No Shape. Perfume Genius. Matador Records.

Image fournie par Matador Records

No Shape, de Perfume Genius