La dernière fois qu'on l'a vu, Francis Cabrel chantait seul avec ses guitares sur la scène de la salle Pierre-Mercure en mars 2014. Un spectacle solo auquel n'ont pas eu droit ses compatriotes français mais qu'il a donné chez nous chemin faisant vers des rendez-vous à New York, Chicago et Los Angeles.

«Je le fais un peu loin de chez moi parce que... j'ai peur de le faire en France, dit en riant le plus nord-américain des chanteurs français. Chez moi, je suis habitué à avoir un groupe autour de moi.»

Cette mini-tournée en solitaire, qu'il a appréciée au point où il pourrait en refaire l'expérience un jour, lui a donné encore plus le goût de renouer avec ses musiciens.

«Je les ai même présentés sur scène deux fois à New York alors qu'ils n'étaient pas là parce qu'ils me manquaient terriblement, raconte Cabrel. Je suis un peu vissé à ma rythmique favorite avec Denis Benarrosh et Bernard Paganotti, qui font partie vraiment de mes chansons. Au fil du temps, on a instauré un son spécial qui fait partie de la chanson, la batterie et la basse en étant l'édifice.»

Il y a toutefois un grand absent dans le spectacle de la tournée In extremis que Cabrel s'apprête à donner une quinzaine de fois au Québec, la plupart à guichets fermés, à compter du 26 avril à Saguenay : son inséparable bassiste Paganotti.

«Il y a toujours Freddy Koella, Alexandre Léautaud, Denis Benarrosh, mais Bernard Paganotti a déclaré forfait pour la tournée parce qu'il était fatigué de s'en aller loin de chez lui, explique Cabrel. Ça faisait 30 ans exactement qu'on jouait ensemble. On avait commencé en 1985 sur l'album Photos de voyages, et en 2015 il a déclaré qu'il restait chez lui. Il est remplacé par un gars qui arrive de Belgique: Nicolas Fizman. »

La couleur des voix

Ce nouveau spectacle, qui repassera par le Québec et le Nouveau-Brunswick à l'automne, fait une assez grande place à la guitare acoustique, annonce Cabrel. Mais plutôt que de greffer à son groupe une section de cordes ou de cuivres, le chanteur a préféré y ajouter des voix.

«J'ai choisi trois choristes parce qu'il y a une couleur [dans leurs voix] qui m'intéresse beaucoup. J'ai vu plein de gens avec des choristes, notamment James Taylor, et c'est certain que ça m'a beaucoup influencé.»

James Taylor, l'ami que Cabrel a invité à chanter avec lui, et Michel Rivard, sur le plateau de Star Académie en 2009. Un autre de ces artistes américains qu'admire le chanteur français qui nous a habitués à des versions de titres de Willie Nelson, J.J. Cale et Jackson Browne. Ces chansons américaines qu'il traduit lui-même, Francis Cabrel les intègre tellement bien à son répertoire que bon nombre de ses fans ignorent probablement que Rosie a été créée par Browne.

S'il n'y a pas de reprise dans l'album In extremis, c'est que Cabrel a un peu fait le tour des gens qu'il aime mais surtout qu'il venait tout juste de consacrer un album entier à Bob Dylan - Vise le ciel, paru en 2012.

«Avec l'adaptation de 12 titres de Dylan plus un ou deux qui sont encore dans mes tiroirs, j'avais à coeur de faire vraiment un disque de chansons personnelles. J'avais posé un peu au pied de l'autel Dylan tout mon respect, toute mon admiration. Suffirait de pas grand-chose pour que le Volume 2 [de chansons de Dylan] se mette en chantier. Mais en ce moment je n'ai pas trop la tête à ça parce que je chante quasiment tous les soirs.»

La cruelle actualité

Francis Cabrel est surtout connu pour ses chansons d'amour mais il y a également dans son répertoire des choses à contenu social, de Saïd et Mohamed à la plus récente Le pays d'à côté.

«Je chante sur scène African Tour, que j'ai écrite il y a sept, huit ans, raconte-t-il. Or l'actualité, cruelle, nous montre tous les jours des gens coincés contre des grillages, tentant de forcer les portes d'un pays qui se referme.»

Cet entretien téléphonique ayant eu lieu avant les attentats en Belgique, Cabrel, dont le coeur porte à gauche, refusait de se laisser abattre par la montée de la droite en France et les attentats terroristes dont son pays a été la cible l'an dernier.

«Je suis inquiet, ça c'est sûr, mais découragé, non. On a affaire à des fous prêts à tout, donc extrêmement dangereux, mais une démocratie est indestructible. Ça sera sporadique, ça sera compliqué, ça risque probablement de durer, malheureusement, mais c'est toujours le système populaire, démocratique, où chacun donne son avis, où les femmes sont libres, qui va gagner à la fin.»

L'engagement personnel de Cabrel se fait beaucoup à l'échelle locale dans sa petite commune d'Astaffort dont il a été le conseiller municipal pendant une quinzaine d'années. Il s'est reconnu dans l'implication de Fred Pellerin à Saint-Élie-de-Caxton quand il a visité le village mauricien à l'invitation de l'émission L'été indien en 2014.

«J'ai senti une similitude très forte dans toute l'action qu'il a menée pour son village pour en faire quelque chose que les gens connaissent, que les gens traversent, que les gens visitent. Dans tout cet imaginaire qu'il a installé. Moi j'ai installé les Voix du sud et les rencontres de chansons. Faire venir la culture loin de la grande ville, c'est une chose à laquelle je suis très sensible et je pense que Fred y est arrivé.»

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À la salle Wilfrid-Pelletier les 8 et 9 mai et le 6 octobre, dans le cadre d'une tournée québécoise.