Vingt-huit ans après un premier album prometteur, le groupe montréalais The Nils est enfin de retour avec un nouveau disque et l'espoir de se venger du mauvais sort qui s'est acharné sur lui. Rencontre avec des survivants.

«Notre histoire est triste, d'accord. Mais c'est impossible d'écrire une histoire plus rock'n'roll que ça: sexe, drogue, rock'n'roll, mort, rédemption... et c'est une histoire vraie, en plus! Comme une tragédie grecque qui n'aurait pas été inventée.»

Difficile de contredire Carlos Soria. Depuis une heure et demie, le bassiste et chanteur des Nils raconte, avec son camarade batteur Jean Lortie, la guigne qui s'est acharnée sur ce groupe «power pop/punk» montréalais devant lequel s'ouvraient les portes du marché américain, en 1987.

À l'époque, Montréal n'était pas tout à fait tendance dans le monde du rock anglo. Sans l'appui d'une compagnie de disques, point de salut, surtout pour un petit band de Saint-Henri.

C'est alors que tombe du ciel une proposition inespérée. La compagnie américaine Profile, qui vend des tonnes de disques de Run DMC, accorde un contrat aux Nils, qui enregistrent un album à New York avec le réalisateur anglais Chris Spedding et l'ingénieur du son Phil Burnett, qui a travaillé avec Steely Dan.

«Spedding avait réalisé la première maquette des Sex Pistols. C'était un honneur pour nous», rappelle Lortie.

Jusque-là, tout va bien. Le premier album des Nils s'écoule à 50 000 exemplaires, on en parle dans le magazine Rolling Stone et le buzz se propage outre-frontière.

Puis, la tuile.

Profile - et son label secondaire Rock Hotel - se fout pas mal des nouvelles embauches, faites uniquement pour tirer des avantages fiscaux. La compagnie de disques déclare faillite pendant une tournée américaine qui devait mener les Nils en Californie, la terre promise où leur album se vend le mieux.

Non seulement ils doivent rentrer aussitôt à Montréal, mais ils ne pourront faire ni disque ni spectacle sous le nom de Nils pendant six ans.

«On était foutus. De grosses compagnies comme Sire et Rhino nous appelaient pour nous faire signer un contrat le jour même si on pouvait se libérer de Profile. Mais je n'avais pas l'argent pour aller me battre en cour...», se souvient Carlos Soria.

«C'était du vol: on nous avait volé notre nom», renchérit Lortie.

Au moment où il s'y attendait le moins, le groupe montréalais, qu'on comparait aux Replacements et qui avait joué en première partie de X, Joan Jett and the Blackhearts, les Ramones et Joe Strummer, s'est séparé.

Un bon soir qu'il regardait à la télé le Canadien se faire éliminer, Carlos est sorti acheter du lait et des cigarettes au dépanneur. Il n'est jamais revenu et, quelques semaines plus tard, il tentait de se refaire une santé musicale en Californie. Sans succès.

«Tout le monde a dit que [notre échec], c'est parce qu'on avait commencé à prendre de la drogue, mais ce n'est pas vrai, de dire Carlos. On a commencé à toucher à l'héroïne quand tout était fini, qu'il n'y avait plus de solution.»

Alex, le petit génie

Des années plus tard, en décembre 2004, quelques jours à peine après un jam qui a donné aux Nils le goût de tout recommencer, Alex Soria, le jeune frère de Carlos, s'est donné la mort sur une voie ferrée de Saint-Henri.

Si Carlos et Jean étaient les organisateurs du groupe, Alex en était le petit génie. «C'était magique de travailler avec lui, raconte son grand frère. On lui demandait d'écrire une chanson et il revenait avec un album complet. Sa mort, ce n'était pas une histoire de drogue. Il cherchait du travail et il s'était chicané avec sa blonde...»

Surtout, Alex ne pouvait pas gagner sa vie en faisant ce qu'il aimait vraiment: de la musique. «Nous autres aussi, on aime la musique. Sans la musique, on serait morts tous les deux», dit Carlos en regardant son ami Jean.

«On a 53 ans, on porte le même linge qu'on portait au high school, on écoute les mêmes albums. Mais on est super bons dans ce qu'on fait, on est devenus un vrai band. Je suis sûr qu'Alex serait fier de nous», dit Carlos Soria.

Pendant toutes ces années, Carlos rêvait d'enregistrer ce deuxième album des Nils qu'il n'a jamais pu faire avec Alex. Avec le guitariste Mark Donato, qui a déjà joué avec les Nils, il a recruté un autre guitariste, âgé de dix ans de moins, Phil Psarakos, et ils ont enregistré le bien nommé Shadows and Ghosts, qui a convaincu Lortie de revenir au bercail.

Un disque rock solide produit grâce à une campagne de financement participatif qui a rapporté 5000$ et avec de précieux collaborateurs qui n'ont pas compté leurs heures. On y entend notamment Evan Dando, un vieil ami du groupe depuis l'époque où les Nils donnaient des spectacles avec les Lemonheads.

La plupart des chansons de l'album ont été écrites par les frères Soria, mais elles n'avaient jamais été enregistrées par un vrai band rock, explique Carlos.

Depuis son lancement au Bar de Courcelle de Saint-Henri, le 24 juin dernier, les Nils ont joué à l'Hémisphère gauche et au Divan orange ainsi qu'en Ontario, où ils ont rendez-vous avec Jesse Malin en octobre.

Ce soir, c'est au Club Lambi qu'ils se produiront exceptionnellement à trois, sans Phil Psarakos, dans le cadre du festival Pop Montréal. On pourra également les voir au Bar de Courcelle le soir de l'Halloween et ils seront d'un spectacle en soutien aux réfugiés syriens, avec notamment Les Dales Hawerchuk et Grimskunk, aux Foufounes électriques le 6 novembre.

Les Nils de 2015 veulent enregistrer un mini-album de reprises de chansons des Beatles, des Stones, des Undertones, des Sex Pistols et autres Hüsker Dü. Ils rêvent surtout d'une tournée avec un des nombreux groupes célèbres qui se sont reconnus dans leur musique. Les Foo Fighters, dont ils ont connu le leader Dave Grohl d'avant Nirvana quand il jouait avec le groupe Scream, leur ont laissé entendre qu'ils feraient appel à eux s'ils se produisaient à Montréal.

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Au Club Lambi ce soir, à 23h30, dans le cadre du festival Pop Montréal. popmontreal.com/fr/