Ils chantent dans la langue de Björk et Dylan, mais sont francophiles. Viennent de Shawinigan, mais racontent des histoires épiques. Sont sept musiciens, mais parlent d'une même voix: celle de Bears of Legend.

«Il faut toujours un capitaine, mais tout le monde rame dans la même direction. J'amène souvent l'idée de base, le tronc d'une chanson, mais les musiciens arrivent avec les branches, le feuillage, les guirlandes. Ils savent tous se positionner comme musiciens.»

C'est ainsi que le chanteur David Lavergne résume au bout du fil le processus de création des «Ours», surnom affectueux du septuor folk, alors que ses six complices répètent en résidence d'artistes à Trois-Rivières.

Bears of Legend, qui s'est fait modestement remarquer avec Good Morning Motherland en 2012, renoue avec un alliage de rock progressif, de classique et d'americana sur un second album, Ghostwritten Chronicles.

«L'objectif, ce n'est pas tant de gagner plus d'amateurs, mais de faire en sorte que ceux qui ont tripé sur le projet précédent ne soient pas déçus, qu'ils trouvent qu'on va encore plus loin, notamment par rapport aux harmonies vocales», explique le leader du groupe, qui manie aussi le ukulélé.

Les orchestrations magistrales bénéficient du bagage hétéroclite des musiciens, que ce soit celui du batteur et réalisateur Francis Perron, issu du métal, ou de la violoncelliste Christelle Chartray, aux a priori classiques. Claudine Roy (piano), Jean-François Grenier (basse), Jacynthe Poirier Morand (accordéon, xylophone) et Guillaume Grenier (guitare, banjo) émaillent eux aussi la proue du navire.

Histoires épiques

Comme un flibustier, David Lavergne a cette fois écumé sa vie et celle de son équipage pour en extraire des légendes délétères, des contes fantastiques et des épopées transocéaniques.

«Mon père a une spiritualité très proche de celle des autochtones et, plus jeune, il me parlait en vent, en rivières, en océans... C'était ces mots pour me raconter la vie. C'est aussi devenu mon langage», raconte le chanteur, qui a la parole et la métaphore faciles.

Encore fallait-il que le langage soit aussi celui des six autres Ours de la tanière. La complicité s'est avérée.

«Notre plus grand point en commun, c'est qu'on tripe sur le fantastique, souligne David Lavergne. On s'est à peu près tous mis d'accord que notre film préféré était Big Fish, de Tim Burton, alors on est fidèle à cette vibe-là, à l'importance de se créer un monde.»

En gribouillant les textes du second album, David a vu naître un lexique de vieux voiliers, de sirènes et de morts-vivants, des créatures qui, à tout coup, prenaient leur place entre le XVe et le XVIIIe siècle. Le thème s'est imposé une fois pour toutes lorsque le groupe a pris livraison des illustrations de la pochette signées Étienne Milette. «On l'a reçu sur la gueule. Le monde créé, théoriquement fictif, est devenu concret, avec des personnages bien définis.»

Une petite et poétique incartade propose une pièce en français, Encore. Le français, pour l'auteur David Lavergne, sert à énoncer crûment, à dire simplement et bellement. L'anglais devient un refuge, une langue de non-dit, de sous-entendus et d'imaginaire.

«Mon père parle bien anglais et on utilisait la langue quand on voulait cacher des choses à ma mère, ou si on parlait d'un repas pas bon dans un resto de Shawi.»

«Malgré mes récits en boucle comme tes cheveux gris de guerres.» Pourquoi ne pas renouveler ces jolies trouvailles sur un album entier? «Si jamais il y avait un piton pour que la création switche en français, j'appuierais dessus tout de suite. Mais ma plume n'est pas assez aiguisée, et je mets toute mon énergie à faire une seule chanson en français que je juge satisfaisante.»

Le pouvoir du nombre

Le disque a vu le jour grâce au sociofinancement, par le truchement de la plateforme Indiegogo, une solution qui a aussi permis à The Lumineers, Will Driving West ou Antoine Corriveau d'enfourner leurs galettes. Mais, fait rare, ce choix de financement s'est non seulement répercuté en amont de la création, avec une contribution de 15 000$, mais aussi en aval. Des dizaines de mécènes, moyennant un don de 100$, ont été invités à participer à l'enregistrement du disque dans une église de Trois-Rivières. Le choeur participatif rappelle d'ailleurs les ambiances ecclésiastiques de Fleet Foxes.

C'est que le groupe aime la proximité du public. Il l'avait prouvé en 2013 en organisant une «flash-mob» dans l'un des cafés Morgane de Trois-Rivières. Dans les jours suivants, quelque 50 000 internautes allaient découvrir la ballade The Morning I've Let You Down, et du même coup, la spontanéité signature du band.

Avec Ghostwritten Chronicles, ils découvriront une démarche quasi inédite dans le milieu folk québécois: un disque cohérent de A à Z, qui est ancré non pas dans la terre et sur les routes, mais sur des eaux débordantes de chimères et de sagas énigmatiques.

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Les Ours jetteront l'ancre un partout au Québec dans les prochains mois, et participeront au Festival de jazz le 3 juillet, à la Place des Arts.