Composée en 1985 par feu Michel-Georges Brégent, oeuvre des plus ambitieuses, «pas jouable» voire titanesque, Atlantide sera créée au festival bisannuel Montréal/Nouvelles Musiques (MNM). La pièce avait été commandée par la Société Radio-Canada pour le prix Italia, concours international organisé par la RAI/Radiotelevisione Italiana, qui cherchait à récompenser la qualité, la créativité et l'innovation radiophoniques.

Cette oeuvre-clé du compositeur (mort prématurément en 1993) se veut une évocation du grand mythe de l'Atlantide, continent englouti, inspiré des écrits de Platon et autres textes anciens. C'est la mise en musique de cette «catastrophe écolo-mythique», pour reprendre l'expression de Walter Boudreau, directeur artistique de la Société de musique contemporaine du Québec, qui en a piloté la résurrection. Naissance, apogée, déclin, destruction, disparition tragique sous les eaux océaniques.

«J'avais participé à cette oeuvre monstrueuse, au sens monumental du terme. J'en avais été le chef d'orchestre en studio et... j'avais failli y laisser ma peau!», raconte à la blague Walter Boudreau. Inutile d'ajouter qu'il sera au pupitre de l'Ensemble de la SMCQ pour la résurrection d'Atlantide devant public.

Jamais interprétée en concert

À l'origine, Atlantide avait été imaginée pour 57 musiciens et 12 chanteurs. La lutherie en était complexe, hétéroclite, innovante: instruments anciens, instruments acoustiques, instruments électriques, instruments électroniques inventés, prises de son sur le terrain.

«Michel-Georges avait lui-même conçu ses instruments électroniques afin de servir l'oeuvre. Par exemple, il avait mis au point un "xylo-clavier" qui combinait les sonorités du xylophone à des sons électroniques. Ou encore un autre qui mélangeait les sons de piano et de cymbalum», explique Walter Boudreau.

Conçue exclusivement pour une diffusion radiophonique, Atlantide ne fut jamais interprétée en concert.

«À l'époque, nous avions construit cet enregistrement en greffant progressivement les voix et les instruments. Ce qui était supposé durer dix jours avait duré trois mois! En concert, nous estimions que la pièce n'était pas jouable.»

Récemment, la mezzo-soprano Marie-Annick Béliveau avait suggéré à Walter Boudreau de mener à bien ce projet. Insensé, avait-il rétorqué... avant d'emboîter le pas à la chanteuse.

Comment rendre la chose possible? En synchronisant en temps réel une part enregistrée de l'oeuvre à une interprétation de 16 musiciens et 12 chanteurs en chair et en os. «Ce n'est pas une réduction d'orchestre, c'est une réécriture et une réorchestration», insiste Walter Boudreau, qui a procédé à cette réorchestration avec l'aide du collègue René Bosc.

Chasse au trésor

Pour ce faire, il lui a fallu retracer la partie enregistrée de l'oeuvre, apparemment disparue dans la nature, à défaut de quoi il fallait recommencer à neuf avec la partition du compositeur.

«D'abord, il y avait cette bande 16 pistes du volet électronique, enregistrée par Brégent chez son collègue Alain Thibault. On ne savait plus où elle se trouvait jusqu'au jour où j'ai fait le ménage de mon bureau. Elle traînait en dessous! J'envisageais alors d'interpréter la partition et de refaire les échantillons sonores. Des mois passés au monastère de Saint-Benoît-du-Lac! Or, j'avais trouvé la bande, mais je ne pouvais pas la lire. J'ai finalement appris que seul un enregistreur de marque Tascam pouvait faire le travail. J'ai finalement trouvé cette machine, mon ami Tim Hewlings a fait "cuire" la bande afin d'en faire disparaître l'humidité. La bande était prête à être lue par la Tascam nettoyée. Et là...»

Walter Boudreau avait découvert l'équivalent du trésor de Rackham le Rouge! Enfin... presque. Encore fallait-il retracer l'enregistrement des instruments anciens, autre partie de l'oeuvre extrêmement difficile à reproduire sur scène à moins de pouvoir compter sur un énorme budget de production. «Trouver les interprètes de ces instruments rares et exiger d'eux la virtuosité de la partition, ce n'était pas évident.»

Après avoir créé ses musiques électroniques chez le compositeur Alain Thibault, Michel-Georges Brégent les avait jointes à l'enregistrement principal, réalisé dans un studio de la Cité du Havre. L'oeuvre fut diffusée... et disparut dans les voûtes de la SRC. Trois décennies plus tard, Walter Boudreau retrouva cette bande d'Atlantide au terme de plusieurs jours de recherche. «Elle était en excellente condition! On l'a numérisée et voilà.»

Sortir une baleine d'une boîte de sardines

Ainsi, les enregistrements des instruments anciens, instruments inventés ou instruments électriques accompagneront la performance des musiciens et chanteurs. À la salle Pierre-Mercure, l'oeuvre sera sonorisée en 5.1, ce qui revient à «extirper une baleine d'une boîte de sardines», à tel point ses qualités seront mieux mises en valeur. «Il n'y a pas une note écrite par Michel-Georges Brégent qui ne sera pas là», assure le maestro.

Quant aux qualités intrinsèques de l'oeuvre, Walter Boudreau ne tarit pas d'éloges.

«Toutes les esthétiques, tous les genres, toutes les époques s'y retrouvent: musique contemporaine, électroacoustique, musique ancienne, musique romantique, rock, jazz, pop, etc. Atlantide n'a rien d'une synthèse académique ni d'un exercice pédagogique. Brégent avait imaginé un tout inclusif qui exhalait tous les parfums. Une éponge qui absorbait la beauté.»

Dans le cadre du festival Montréal/Nouvelles Musiques (MNM), Atlantide sera créée jeudi prochain, 19h, à la salle Pierre-Mercure, par l'Ensemble de la SMCQ et invités, sous la direction de Walter Boudreau. Autres oeuvres d'Ian Breuleux et John Cage au même programme.