L'an dernier, Isabelle Boulay travaillait dans son atelier à un album de chansons inédites, mais ce sont celles de Serge Reggiani qui lui trottaient toujours dans la tête. L'idée de faire un album hommage à l'interprète français disparu il y a 10 ans s'est vite imposée. Rencontre.

À 42 ans, Isabelle Boulay se sentait plus prête que jamais à s'attaquer aux chansons popularisées par Serge Reggiani, cet acteur de cinéma venu à la chanson sur le tard. Un artiste et un homme «noble, simple et élégant», dit-elle, comme la rose qu'il lui a dessinée un jour et qui se retrouve aujourd'hui sur la pochette de cet album, Merci Serge Reggiani.

«Son ton était toujours juste; il pouvait y avoir de la fureur mais jamais de débordements, dit la chanteuse rousse, admirative. J'ai enfin l'âge d'interpréter ces chansons-là. C'est particulier de reprendre le répertoire d'un interprète, d'un homme en plus, mais je suis habituée d'être avec des hommes, j'ai vu des hommes souffrir de leurs amours. Je me sens très proche du réalisme de ces chansons-là.»

Il est vrai qu'Isabelle Boulay a toujours pratiqué la chanson réaliste, elle qui, petite, chantait du country. Elle a même interprété des textes de Jean-Loup Dabadie qui a écrit pour Reggiani et qui récite un texte dans la dernière chanson de l'album, Le déjeuner de soleil. Elle avait déjà chanté une ou deux chansons de Reggiani sur scène quand leur producteur de spectacles commun, Gilbert Coullier, lui a proposé de faire un duo avec lui au Palais des congrès de Paris à l'hiver 2003.

Elle raconte: «Je me retrouve chez lui avec Liliane Bouc, son assistante. On répète et je me pince: je suis avec Serge Reggiani et on va chanter ensemble! Il y avait dans son regard une espèce de rigueur et une défiance: «Donne-moi quelque chose qui soit à la hauteur.» Je me disais: ça doit être comme ça que les acteurs se sentent quand ils passent une audition.»

Les deux interprètes ne se sont jamais revus, bien que Reggiani soit venu chanter aux FrancoFolies de Montréal cette année-là. Il est mort l'année suivante.

Le mois prochain, Isabelle Boulay transposera sur scène pour la première fois, aux mêmes FrancoFolies, son hommage en chansons au chanteur disparu.

L'intégrité des chansons



Cette rigueur dont elle parle a guidé dans leur travail Isabelle Boulay et ses deux réalisateurs, le Québécois Philippe B et le Français Benjamin Biolay. «La seule chose qui m'importait, c'était qu'on garde l'intégrité des chansons, le classicisme dans l'écriture musicale, qu'on ne les transforme pas, mais qu'on les amène dans le monde d'aujourd'hui», dit-elle.

Pas question de refaire à l'identique les chansons de Reggiani. «Elles étaient très arrangées, très réussies. Les plus belles sont comme de petits films. Avec Philippe B et Benjamin, on voulait épurer ça pour que ce soit élégant, mais aussi très contemporain. Benjamin a ce grand talent-là de débrider les chansons.»

La plupart des nouvelles versions sont plus dépouillées que celles d'origine, depuis Ma solitude, jouée au ukulélé et au violoncelle, jusqu'à l'émouvante Si tu me payes un verre, sur fond de piano et de trombone.

Si la très connue Il suffirait de presque rien, qui n'avait pourtant pas été retenue par la chanteuse au départ, conserve les cordes qui en constituent la signature, l'ajout d'un accordéon dans Ma fille est un clin d'oeil à la chanson française. Quant à Ma liberté, elle ne baignait pas à l'époque dans la pop française des années 60 comme sa nouvelle mouture. «Ça, c'est vraiment la signature yéyé de Benjamin», dit Isabelle Boulay en souriant.

L'atmosphérique T'as l'air d'une chanson est dotée d'un son plus actuel, avec la guitare du réputé Nicolas Fiszman, débarqué en studio avec Biolay.

Un travail d'amour



«Même si je ne chantais pas, j'aurais besoin des chansons des autres dans ma vie», confie Isabelle Boulay. Ça s'entend dans son Merci Serge Reggiani qui est un véritable travail d'amour. Elle ajoute: «Pour une fois dans ma vie, je me sens exactement à la place où je rêve d'être depuis 20 ans. Je me souviens des madames qui venaient me voir et me disaient: «Quand je vous écoute chanter Ne me quitte pas, j'y crois quand je ferme les yeux, mais, quand je les ouvre, ça ne marche pas: vous avez juste 19 ans!» »

«Aujourd'hui, personne ne va me reprocher d'avoir 42 ans, ajoute-t-elle dans un sourire. Je me dis que j'ai l'âge de la plénitude.»

Au Théâtre Maisonneuve, le 21 juin, dans le cadre des FrancoFolies.



Isabelle Boulay

Merci Serge Reggiani

Audiogram/Sélect

Sortie mardi prochain

La rencontre de Philippe B et de Benjamin Biolay

Isabelle Boulay n'oubliera jamais les regards que s'échangeaient Serge Reggiani, sur scène, et sa femme Noëlle Adam, depuis les coulisses, quand elle a chanté avec lui au Palais des congrès de Paris en 2003. «Je me suis toujours dit: moi, j'aimerais bien que quelqu'un me regarde comme ça.»

Elle fait le lien avec une image plus récente qui lui est restée en tête depuis la toute première rencontre de ses deux réalisateurs, Philippe B et Benjamin Biolay, en studio: «J'ai su tout de suite qu'une filiation s'était établie, que la connection s'était faite. Je n'ai jamais vu Philippe B aussi beau que ça. C'est drôle parce qu'ils travaillent tous les deux à peu près de la même manière dans la construction musicale.»

La chanteuse n'avait jamais parlé à Philippe B, mais elle aimait le travail qu'il avait fait sur ses propres albums ainsi que sur ceux des Soeurs Boulay et de Groenland.

Le réalisateur québécois est venu à son atelier, elle lui a expliqué ce qu'elle attendait de lui et ils se sont mis ensemble à défricher le répertoire de Reggiani. «C'est lui qui m'a soumis des chansons comme Les amours sans importance et Si tu me payes un verre

Biolay, le musicien et l'acteur, est un homme occupé. Il avait un tournage en France, mais il a pu se libérer pendant cinq jours pour renouer avec la chanteuse qu'il connaît depuis longtemps.

«Je lui avais envoyé ce qu'on avait déjà fait pour que son travail s'inscrive dans la mouvance de celui de Philippe B et Benjamin a mis tout son onirisme là-dedans, explique Isabelle Boulay. Mon métier, c'est une recherche de beauté. J'étais déjà privilégiée d'avoir Benjamin comme complice dans la création et je suis allée chercher Philippe B parce que j'avais soif de cette beauté qu'il fait apparaître dans ses projets. Son dernier album Ornithologie la nuit, c'est l'album que j'écoute le plus. Mon fils et moi, on chante Biscuit chinois quand je vais le reconduire à la garderie. Quand les enfants aiment quelque chose, c'est qu'ils y trouvent de la féerie et beaucoup de grâce.»