Sur la planète jazz, Cécile McLorin Salvant est sans conteste une révélation. Accueillie chaudement par Wynton Marsalis, pour qui elle chante à l'occasion, cette femme de 24 ans dispose d'une technique vocale hors du commun, doublée d'une connaissance profonde de la tradition jazzistique. À notre tour, Québécois et Montréalais, de la découvrir sur scène... et de lui faire un brin de causette avant son arrivée.

Français impeccable au téléphone. Directrice d'une école bilingue à Miami, maman est un quart américaine, un quart guadeloupéenne, à demi française. Médecin de profession, le père est haïtien. Cécile McLorin Salvant a grandi en Floride et passé ses vacances estivales chez la grand-mère maternelle, dans le Sud-Ouest, à une centaine de kilomètres de Toulouse.

«Le français a toujours été important, c'est la langue de notre famille», amorce la chanteuse afro-américaine, qui s'apprête à déménager ses pénates au coeur de Harlem, quartier de Manhattan désormais embourgeoisé en bonne partie.

Plutôt que l'enseignement ou la médecine de ses parents, Cécile McLorin Salvant a choisi la voix... sur la voie du jazz. Études franco-américaines, passage concluant au Conservatoire d'Aix-en-Provence. En 2010, elle remporte la prestigieuse Thelonious Monk International Jazz Competition, soit l'un des principaux tremplins de la carrière jazzistique aux États-Unis. Wynton Marsalis la remarque, l'invite à se produire à ses côtés - elle sera d'ailleurs la chanteuse invitée pour une tournée du temps des Fêtes du Jazz at Lincoln Center Orchestra, prévue en décembre. Quant à la bénédiction du fameux trompettiste, elle n'insiste pas trop et fait preuve d'humilité. «Wynton est très encourageant, je suis là comme invitée de temps en temps et j'ai le temps de créer mes projets sans me prendre la tête. Je ne ressens pas la pression que pourrait engendrer ce lien, en fait.»

L'esprit de Woman Child

À Québec comme à Montréal, Cécile McLorin Salvant s'amène avec un trio acoustique que dirige le pianiste Aaron Diehl, qui comprend le contrebassiste Paul Sikivie et le batteur Rodney Green. L'esprit de l'album Woman Child dominera cette prise de contact avec les jazzophiles québécois.

«Nous interpréterons surtout la matière de cet album. Actuellement, je me concentre sur le son, l'interaction, la composition et les arrangements de ce groupe encore jeune. Les nouvelles propositions viendront ensuite, je préfère enregistrer ce qu'on aura rodé en tournée plutôt que l'inverse.»

Cécile McLorin Salvant est une authentique chanteuse de jazz, au même titre que Dianne Reeves, Carmen Lundy, Cassandra Wilson, Elizabeth Kontomanou ou Gretchen Parlato. Peu de rapport avec Mélodie Gardot, Madeleine Peyroux, Norah Jones ou même Diana Krall, enfin ces chanteuses pop dont le jazz n'est qu'une part de l'expression. Pour notre interviewée, le jazz en est la charpente. On le lui dit, elle s'en montre ravie.

«Me dire ça, c'est un super compliment! C'est vrai qu'il y a une certaine tendance à ne pas vouloir chanter que du jazz. Ou à ne pas assumer de faire uniquement ça. Pour moi? Le jazz est une musique que j'adore. Ce qui m'intéresse, c'est de faire une musique très ancrée dans la tradition, et qui peut se développer à partir de ce fondement. Les grandes chanteuses du passé (Sarah Vaughan, Ella Fitzgerald, etc.) ont apporté beaucoup, mais le jazz vocal peut continuer à évoluer.

«Au niveau de l'interprétation du texte, de l'arrangement ou des compositions, il y a tant à faire. En toute humilité, il m'importe de trouver quelque chose de particulier et de personnel. Créer une musique qui touche le public, qui soulève un intérêt musical et artistique et qui reflète le temps dans lequel je vis. Par exemple, beaucoup de choses ont changé par rapport à la condition des femmes et l'identité des femmes noires; j'aimerais pouvoir l'exprimer dans ma musique.»

Musiques rurales

Hormis l'entier répertoire du chant jazzistique dont elle est férue, Cécile McLorin dit écouter bluegrass, country blues, cowboy blues, musiques américaines rurales. «L'idée qu'on se fait du jazz est souvent celle d'un quartette dans un club très urbain et cosmopolite, verre de champagne à la main. Il y a ça, mais il y a aussi le côté folk, le côté rural. C'est ça aussi la musique américaine. Par ailleurs, j'aime les côtés humoristique et léger du jazz. Et dans un autre ordre d'idées, j'aime la musique électronique et ses évocations - Dawn of Midi, James Blake, etc.»

Cécile McLorin Salvant n'en demeure pas moins une chanteuse de jazz, ce qu'elle assume totalement. «Plusieurs me considèrent comme une artiste plutôt traditionnelle, peu m'importe. Cela ne fait pas partie de mes soucis. Je suis souvent dans le doute... mais pas là.»

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Ce soir au Théâtre de la Bordée, dans le cadre du Festival de jazz de Québec, et mercredi à l'Upstairs, à Montréal.