Qu'un juif ultra-religieux fasse du hip-hop, c'est déjà rare. Mais qu'il soit afro-américain, c'est encore plus rare.

Autant dire que Yitz Jordan, alias Y-Love, fait figure d'anomalie dans le monde cloisonné du judaïsme orthodoxe. Mais le rappeur de Brooklyn, qui clôturera demain les deuxièmes Nuits du Ghetto Shul (festival de musiques juives modernes et groovy présenté en collaboration avec FIJM), n'y voit que l'aboutissement d'une vocation.

«D'aussi loin que je m'en souvienne, j'ai toujours été attiré par le judaïsme, dit-il. À 7 ans, j'ai vu une pub à la télé pour la Pâques juive, puis je me suis mis à dessiner des étoiles de David partout dans l'appartement. Ma mère pensait que ça me passerait. Mais je n'ai jamais arrêté d'y penser. À 14 ans, je portais déjà la kippa!»

Yitz s'explique mal cette attirance pour la religion juive. Peut-être que son père, d'origine éthiopienne, avait de vagues chromosomes falashas (les Juifs d'Éthiopie). Ou peut-être est-ce à cause de sa grand-mère maternelle, tout aussi fascinée par le judaïsme.

Mais ce qui est certain, c'est que ce trip de jeunesse sera beaucoup plus qu'une passade. Converti pour de bon en 2000, à l'âge de 21 ans, Yitz ira même jusqu'à grossir les rangs hassidiques, une phase plus radicale qui ne durera qu'un temps.

«Leur rapport à Dieu est d'une fascinante intensité. J'aime cette idée de porter l'être suprême à l'intérieur de soi. Et puis, je dois admettre que j'ai toujours adoré leur look! Le problème, c'est ce séparatisme quasi insulaire dans lequel ils vivent. À un certain moment, j'ai eu à faire un choix. Est-ce que je veux vivre comme au XVIIIe siècle ou est-ce que je veux parler aux juifs de 2010?»

Mal reçue par l'establishment

Y-Love ne s'en cache pas: que sa musique ait été mal reçue par l'establishment hassidique l'a poussé à prendre ses distances avec l'ultra-orthodoxie. En Israël, le comité pour la défense de la musique juive avait notamment qualifié son style de «dégoûtant»et «déplacé», ce qui l'avait profondément piqué.

Mais pour lui, pas question d'abandonner son véhicule d'expression: le hip hop. «C'est ma façon à moi de passer mon message», lance celui qui a grandi dans les ghettos black de Baltimore. Appartenant à une nouvelle génération de chanteurs juifs cool - dont la figure de proue est le reggaeman Matisyahu -, Yitz se dit convaincu que le judaïsme doit s'adapter aux nouveaux courants musicaux, sans quoi les jeunes Juifs se désintéresseront de la religion.

«Soyons réalistes, dit-il, le klezmer ne vend plus. Et la religion vieux jeu ne fonctionne plus vraiment. Les kids aiment le shabat, mais ils aiment aussi le hip-hop. Pourquoi ne peuvent-ils pas avoir les deux en même temps?»

Curiosité underground

Malgré ses trois albums, Y-Love reste une curiosité underground sur la scène rap américaine. En revanche, il est assez populaire dans la diaspora juive, notamment en Israël, où, dit-il, «il est aussi important que les Jonas Brothers». Fait à noter, il serait également apprécié dans certains pays musulmans comme Dubaï et le Koweït, en raison de ses positions en faveur d'un rapprochement israélo-palestinien.

Pas de doute: Y-Love est un cas d'espèce. Il en sera demain soir à sa deuxième escale montréalaise, après son passage au Métropolis l'an dernier, en première partie de Matisyahu. Il sera accompagné du DJ/producteur Diwon, sorcier de la platine spécialisé dans la réactualisation de musiques juives en tous genres, que certains ont comparé à M.I.A. rencontrant Daft Punk au coeur de l'État hébreu.

Intrigant, vous dites?

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JUIF ET NOIR? ET APRÈS?

Y-Love en a marre de se faire poser les mêmes questions. Il est noir? Il est juif? Et après? Il n'est pas le seul! Selon lui, il y aurait près de 400 000 juifs black en Amérique, incluant les Falashas d'origine éthiopienne. Mais si on entend rarement parler d'eux, c'est qu'ils ont choisi de rester discrets. «Être noir est déjà une tare en Amérique. On suscite constamment les soupçons. Alors imagine qu'on porte une kippa en plus!»lance-t-il. Avec le racisme qui semble diminuer, les juifs black s'afficheraient cependant de plus en plus. D'autres, comme lui, se sont même mis au hip-hop. C'est le cas du rappeur canadien Drake (DeGrassi) qui vient tout juste de lancer Thank Me Later, son premier album.

QUOI D'AUTRE AU GHETTO SHUL?

Lancées par un rabbin hassidique saxophoniste, les Nuits du Ghetto Shul se sont donné comme mission d'exposer le versant plus moderne de la musique juive. Elles ont lieu au bar du même nom, un repaire pour les jeunes juifs de l'Université McGill, qui fait aussi office de synagogue. Outre Y-Love, on pourra y entendre ce soir le klezmer fusion de Klezfactor et le «jazz fusion hassidique»de Nozen. Demain: matinée exclusivement réservée aux femmes avec le klezmer cabaret de Di Heyse Yiddenes et soirée pop soul en soirée avec Jordan Kaahn, en première partie de Y-Love et Diwon. Ça se passe au 3458, avenue du Parc, et l'entrée est 10$. www.nightsatghettoshul.com