Dans la vie de tous les jours, Nikki Yanofsky est une ado de 16 ans, qui va à l'école, collectionne les Converse et adore Beyoncé. Mais dès qu'elle s'approche d'un micro, Ella Fitzgerald jaillit de son corps adolescent. Cette semaine, la charmante Lolita, qu'on retrouvera au Festival de jazz le 27 juin, nous offre son premier vrai CD, produit par le légendaire Phil Ramone et tout simplement intitulé: Nikki.

J'aurais pu rencontrer Nikki Yanofsky à l'école St. George's à Westmount, où elle termine sa quatrième secondaire. J'aurais pu la rejoindre dans la maison de ses parents à Hampstead, où elle vit avec ses deux grands frères, Andrew, 19 ans, et Michael, 21 ans. En lieu et place, je la retrouve à un jet de pierre du boulevard Décarie, au milieu d'un parc industriel où logent des boutiques de luxe comme Jardin de Ville et Signature Bachand.

Souvent après l'école, Nikki monte dans la Mercedes de sa mère et se rend ici, au sous-sol d'un vaste édifice où, après avoir arpenté un long couloir de béton, elle aboutit dans un local de répétition d'au moins 2000 pieds carrés, tendu de rideaux de velours et meublé de sofas confortables. Ce local, où des musiciens viennent trois fois par semaine répéter avec elle, est devenu au fil du temps le Juilliard privé de Nikki. L'expression est de son père, l'homme d'affaires Richard Yanofsky, cofondateur de WowWee, l'entreprise qui a lancé le célèbre jouet robot Robosapien, en 2004, et dont les actifs valent plusieurs dizaines de millions.

Après avoir vu sa fille galvaniser les foules du Festival de jazz de Montréal en 2006 puis être invitée à chanter à Carnegie Hall sous la direction de Marvin Hamlisch, Richard Yanofsky a décidé de miser sérieusement sur le talent de celle que l'on a comparée à une nouvelle Ella Fitzgerald. Il a même fondé une agence, A-440, uniquement consacrée au développement et à la gestion de sa carrière. Il y a un an, il affirmait à un journaliste avoir déjà investi 200 000$, tout en se disant prêt à monter jusqu'à un million.

Le jour de notre rencontre, Richard Yanofsky était absent. Nikki est arrivée au local avec sa mère, Elyssa, née Rosenthal, une petite blonde, mince et expansive, qui se promène avec un caniche couleur sable et un gros sac, style Gucci. Nikki, pour sa part, portait un blue-jean délavé, une chemise en jeans assortie où cascadaient ses beaux cheveux noirs et lustrés. Ses pieds étaient chaussés d'une magnifique paire de Converse vert forêt.

«J'en ai huit autres paires, mais ceux-là, c'est mes préférés», dit-elle fièrement, avec une voix de petite fille qui contraste étrangement avec sa voix adulte de chanteuse. Je lui demande si elle est consciente du décalage entre ses deux voix.

«Oui, mais ce décalage, c'est moi, plaide-t-elle. De sorte que je ne l'entends pas. Ce sont les autres qui me le rappellent. Quand je prends la parole sur scène après avoir chanté quelques chansons, à tout coup, les gens se mettent à rire. Ils sont surpris par ma voix de fillette, mais je n'y peux rien. C'est moi.»

Comme les autres.... ou presque!

«Bienvenue dans ma vie. Tout est brillant, ici», chante Nikki sur son premier CD qui sera lancé mardi au magasin Apple de la rue Sainte-Catherine. Cette chanson, qu'elle a coécrite avec Ron Sexsmith et Jesse Harris et où elle ne prononce que quelques mots en français, résume assez bien qui elle est: une jeune prodige qui a tout pour elle: la beauté, le talent, du tempérament, un sens de la répartie, l'insouciance de sa jeunesse et... de l'argent.

En même temps, sa précocité et sa bonne fortune n'ont pas rendu Nikki arrogante, ingrate ou prétentieuse. Tout le contraire.

La mère d'un élève de St. George's affirme qu'elle ne l'a jamais vue jouer à la vedette à l'école, et cela même les jours où elle revenait d'un concert à Carnegie Hall ou d'une tournée au Japon.

Par le passé, Nikki a déjà raconté aux médias qu'elle avait été ostracisée à l'école. Ou bien les choses se sont arrangées, ou on lui a conseillé de retenir sa langue. Chose certaine, sa version n'est plus la même.

«J'apprécie l'indépendance d'esprit et l'atmosphère très artistique de cette école, dit-elle aujourd'hui, et même si la plupart de mes amis sont des garçons, j'y ai au moins trois très bonnes amies avec qui je fais des activités de filles comme aller magasiner. J'adore magasiner.»

Magasiner peut-être, mais ce que Nikki adore par-dessus tout, c'est chanter. Le rapport des chanteuses avec leur voix est souvent problématique. Certaines, comme Céline, vivent avec la peur panique de la perdre. Est-ce le cas de Nikki?

«Je n'ai pas peur de perdre la voix, mais j'ai peur des microbes. Je suis complètement phobique. À l'école, on m'appelle «germaphobe». Je serre rarement la main, je m'éloigne dès que quelqu'un tousse. Pour le reste, j'évite de trop penser à ma voix pour que tout cela reste le plus naturel possible.»

Depuis ce premier soir où, à 12 ans, elle a chanté avec le groupe amateur de son père au Club Soda lors d'une collecte de fonds pour le centre de soins gériatriques juif Maimonides, Nikki répète qu'elle est une ado comme les autres. C'est encore le cas aujourd'hui: «La seule différence, ajoute-t-elle, c'est que j'ai une passion sans bornes pour la musique, que je suis persistante et obstinée et que je sais ce que je veux. Et ce que je veux, c'est chanter. À 2 ans, je disais que je voulais être une chanteuse et je savais que je le serais. Je brûlais déjà à cet âge-là de me retrouver sur une scène. La lumière des projecteurs ne m'a jamais fait pas peur. Au contraire.»

Fenêtre ouverte sur la pop

La seule fois où Nikki a senti la nervosité la gagner, c'était à la soirée d'ouverture des Jeux olympiques, où elle devait entonner un Ô Canada légèrement modifié par l'arrangeur David Pierce. En entendant sa voix pure et rythmée moduler l'hymne national de manière jazzée, beaucoup de Canadiens ont été offusqués. Le lendemain, les tribunes téléphoniques à la radio bourdonnaient de commentaires désobligeants. Comment s'est-elle sentie?

«Tout le monde a droit à son opinion, répond-elle. Pour ma part, j'ai trouvé les arrangements de David très cool. Je n'ai pas hésité une seconde à les chanter tels quels. Certains n'ont pas aimé ça, mais d'autres ont adoré. À chacun ses goûts.»

Au moment de la controverse, Nikki avait déjà entrepris l'enregistrement de son premier CD en studio avec nul autre que le légendaire producteur Phil Ramone. Enregistré à New York comme à Montréal, le CD est un mélange de standards du jazz et de chansons pop composées à parts égales par Ron Sexsmith, Jesse Harris et Nikki elle-même. La seule chanson originale que Nikki n'a pas coécrite est une pièce country signée par la chanteuse Feist. Certains seront surpris par la fenêtre pop que Nikki ouvre avec ce disque.

«On me voit peut-être avant tout comme une chanteuse de jazz, mais je suis née avec la pop. J'ai commencé par chanter du Aretha Franklin et du Stevie Wonder, puis j'ai découvert Ella Fitzgerald et je suis devenue totalement obsédée par elle. Reste que pour cette première carte de visite, je ne voulais pas me limiter à un seul style parce que quand on se limite, on manque un tas de belles choses.»

Nikki avait 12 ans quand le grand public a découvert son incroyable talent. Depuis, les médias en ont fait un phénomène de précocité vocale, la décrivant comme une Lolita qui chante avec une voix de femme fatale. Mais l'étiquette a fini par être lourde et redondante. Nikki aimerait bien la dépasser pour montrer aux gens la jeune fille qu'elle est devenue. C'est d'ailleurs ce qu'elle fera l'été prochain dans une tournée qui la mènera, après le Festival de jazz de Montréal, en Europe et au Japon.

«Quand j'ai commencé, j'étais une petite fille qui avait du plaisir à chanter. Mais avec le temps et l'expérience, j'ai pris conscience qu'il fallait que je me responsabilise et que je me discipline. Pas seulement sur scène, mais dans ma vie. À 16 ans, on n'est pas vieux, mais on a vécu des conflits, des peines d'amour. Et plus on vit, plus on a de choses à dire.»

Ce n'est pas clair encore ce que Nikki Yanofsky a à dire, autre que son bonheur de chanter et d'être sur scène. Mais inutile de s'inquiéter. À 16 ans, elle a la vie devant elle pour le trouver.