Depuis un an, Leonard Cohen donne des spectacles avec neuf musiciens et chanteurs qui mettent magnifiquement en valeur ses chansons. Nous vous en présentons quatre, deux complices de longue date et deux recrues, que nous avons rencontrés à New York avant le début de la tournée nord-américaine qui s'arrêtera bientôt à Québec et à Ottawa. Le sujet de conversation: Leonard Cohen.

RAFAEL BERNARDO GAYOL

Le batteur Rafael Bernardo Gayol est né au Mexique, mais a grandi en Californie. Il a joué notamment avec Robbie Robertson, les BoDeans, Charlie Sexton et le groupe norvégien A-ha. C'est sa première tournée avec Leonard Cohen.

 

«J'avais 11 ans et je savais déjà que Leonard Cohen était très spécial. C'était en 1969, je commençais à peine à jouer de la musique et j'écoutais ses disques.

«J'ai rencontré Leonard pour la première fois dans un festival en Norvège, en 1988. Les gars de A-ha étaient de grands fans, ils écoutaient I'm Your Man dans l'autocar de tournée et je suis devenu amoureux de cet album.

«Il y a deux ans, j'étais dans un magasin de chaussures à San Diego quand le téléphone a sonné. C'était Roscoe Beck (directeur musical de Cohen), avec qui j'ai déjà joué au Texas. «Viens tout de suite à la maison de Leonard à Los Angeles, m'a-t-il dit, on a besoin d'un percussionniste.» Ça a cliqué avec Leonard et un peu plus tard, je faisais partie de son groupe.

«Nous avons répété pendant 11 semaines avant la tournée, un véritable luxe, mais c'était nécessaire. On travaillait six jours par semaine. Avec Leonard, l'important ce sont ses mots, sa voix. J'ai appris à jouer tout doucement; chaque semaine, j'ajoutais un oreiller dans mon bass-drum.

«Quand la tournée a commencé, Leonard voulait être certain que les salles de spectacles lui conviendraient et qu'il s'y sentirait à l'aise. Aujourd'hui, il s'amuse, tout simplement.

«Sa musique est intemporelle, peu d'artistes peuvent en dire autant. Pour moi, c'est un honneur, une bénédiction, un cadeau de jouer avec Leonard Cohen, pas un travail.»

Leonard Cohen, au Pavillon de la jeunesse de Québec, le 21 mai, et au Centre national des arts d'Ottawa, les 25 et 26 mai.

BOB METZGER

Le guitariste de Boston Bob Metzger est du groupe de tournée de Leonard Cohen depuis 1988. Avec sa femme Leanne Ungar, il a aussi participé à la réalisation de quelques disques de l'artiste montréalais.

«Quand je me suis joint à Leonard, il y a 21 ans, j'avais entendu Suzanne et Bird on the Wire, mais je n'étais pas très familier avec son répertoire. Il cherchait un guitariste qui pouvait jouer de la pedal steel.

«Je regarde Leonard chanter et il puise dans les mêmes émotions que quand il a écrit ses chansons. Il est un maître dans l'art de bâtir un concert, de choisir l'ordre des chansons, il sait comment nous amener au prochain plateau.

«Je me souviens du concert au Forum de Montréal en 1993, le Canadien venait de gagner la Coupe Stanley et nous étions installés dans le vestiaire des visiteurs. Jacques Demers a remis à Leonard un chandail du Canadien. Leonard n'est pas le plus grand amateur de sport, mais c'est un vrai Montréalais. Il parle tout le temps des sandwichs à la viande fumée même s'il ne mange plus de viande, je pense. Lors des concerts à Montréal, l'an dernier, nous étions tous très conscients que c'était sa ville.

«Leonard est très bon pour nous pousser à nous surpasser. Quand on répète, il tire les ficelles comme un marionnettiste. C'est un maître arrangeur. C'est comme s'il faisait un soufflé en utilisant tous les ingrédients: je suis le bacon, Javier, le jambon ibérique. Travailler avec lui, c'est comme assister à une classe de maître. Il est très sérieux, il faut que la musique soit correcte et l'exemple vient de haut.

«Leonard se réinvente continuellement. C'est un des grands paroliers de l'histoire, mais il prend le temps de peaufiner de la très bonne musique. Comme les Beatles, il n'écrit pas toujours la même chanson.

«L'homme a 74 ans, et il donne des spectacles de trois heures sinon plus. Il pourrait facilement chanter pendant six heures.»

JAVIER MAS

L'Espagnol Javier Mas, qui vit à Barcelone, joue de la guitare, de la bandurria et du laud. «Je suis la saveur méditerranéenne dans la musique de Leonard», dit-il. En 2006 et 2007, il a été directeur musical d'un spectacle en hommage à Cohen en Espagne, auquel participaient notamment la compagne du chanteur, Anjani Thomas, et son fils, Adam Cohen.

«J'ai fait la connaissance de Leonard il y a deux ans, à Noël. Il avait vu la vidéo et écouté le disque de notre concert hommage et il a dit qu'il aimerait qu'on joue ensemble un jour. Puis il m'a appelé pour me dire que les répétitions commençaient en février 2008.

«J'écoutais du Leonard Cohen quand j'avais 15 ans, il a toujours fait partie de ma vie. Je faisais jouer Suzanne, Bird on the Wire, Chelsea Hotel No. 2 et The Partisan et j'essayais de traduire les paroles en espagnol pour comprendre de quoi il parlait. C'est le feeling de ses chansons et sa voix qui m'ont séduit. Peu de Blancs chantent de façon aussi érotique; c'est un hombre, un homme, qui chante, pas une femme.

«Leonard s'intéresse aux musiques orientale, grecque, turque... Mon truc à moi, c'est un mélange de musiques arabe, orientale et flamenco. Les arrangements que j'ai faits pour Leonard sont inspirés de la musique grecque (Dance Me To The End of Love), du flamenco (Gypsy's Wife) ou tiennent plus de l'improvisation (Who By Fire). Chaque soir, mes solos sont différents. Comme guitariste, Leonard a son propre style. Il y a quelque chose d'unique dans son trémolo, dans sa ligne de basse, personne ne le fait mieux que lui.

«Pour moi, c'est un cadeau de jouer ces chansons extraordinaires avec l'homme qui les a écrites. Je pensais que cette tournée durerait un an, mais la réaction est telle que j'attends avant de prendre d'autres engagements.»

ROSCOE BECK

Bassiste et directeur musical, le Texan Roscoe Beck collabore avec Leonard Cohen depuis l'album Recent Songs en 1979. Il était de sa tournée en 1979-1980 et il a monté les groupes qui ont accompagné Cohen en 1988 et 1993 même s'il n'y a pas joué. Il a réalisé avec Jennifer Warnes l'album Famous Blue Raincoat où elle reprenait des chansons de Cohen.

«Le réalisateur Henry Lewy, qui avait travaillé avec Joni Mitchell, m'a donné un coup de fil au moment d'enregistrer Recent Songs. À l'époque, je jouais avec (le groupe de jazz) Passenger et Leonard nous a demandé de l'accompagner en tournée, avec Jennifer Warnes, Sharon Robinson, le violoniste Raffi Hakopian, John Bilezikjian au oud et à la mandoline.

«Cette rencontre, en 1979, a changé ma façon de voir la musique. J'aurais peut-être suivi les traces de Jaco Pastorius que j'espérais remplacer dans Weather Report, mais j'ai fait un virage abrupt à gauche. C'était exactement ce dont j'avais besoin. D'une musique purement instrumentale, je suis revenu aux textes et quels textes c'était! Pour moi, c'était un éveil comparable à la première fois que j'ai entendu John Coltrane.

«J'ai toujours gardé le contact avec Leonard, c'est un ami. Quand il est venu me trouver à Austin en 2006, j'ai décidé que plus jamais je ne raterais une de ses tournées.

«Leonard a un répertoire incroyable. C'était tellement difficile de monter ce spectacle! Au départ, nous avions choisi 120 chansons. Lesquelles on coupe?

«Leonard a un talent extraordinaire pour la mélodie, on ne le dira jamais assez. Il est issu d'une tradition musicale proche de la musique country, des chansons ouvrières, des vieilles chansons folk, avec des mélodies très simples, mais mémorables, très fortes.

«L'autre jour, j'entendais des journalistes dire que Leonard est parti en tournée parce qu'il a perdu de l'argent. Je ne le crois pas. Il était vraiment prêt à faire une tournée, à renouer avec son public. Je peux me tromper, mais je crois que ce groupe sera son dernier.»