Un nouveau cycle de Parsifal, opéra wagnérien mis en scène en toute singularité par François Girard, de surcroît dirigé par Yannick Nézet-Séguin, s'est amorcé triomphalement hier au Metropolitan Opera House de Manhattan.

Scénographie d'avant-garde, éclairages et projections dernier cri, mouvements de scène assortis de chorégraphies rituelles, voilà autant d'éléments ayant magnifié le chant et le jeu des protagonistes du récit. Qui plus est, le tout était soutenu par une clarté orchestrale exceptionnelle, gracieuseté de l'orchestre du Met et de son maestro québécois.

Pour bien saisir le déploiement de ce Parsifal, mythe wagnérien inspiré de contes médiévaux de type arthurien, rappelons-en la trame narrative. La confrérie des chevaliers du Graal est en déclin. Klingsor, un aspirant chevalier rejeté par la communauté et qui s'est castré après avoir succombé au plaisir de la chair, a dérobé la Sainte Lance, sorte de prolongement sacré du Graal. Le roi Amfortas sera blessé par l'arme magique et sa plaie ne guérira plus, toujours ravivée à la vue du Graal.

Le vol de la Sainte Lance provoquera du coup l'affaiblissement, voire la déchéance de la communauté du Graal, jusqu'à ce que Parsifal entre en scène. Le jeune homme a le coeur pur, il est candide et naïf. Or, après avoir pris conscience du mal en tuant un cygne, il entreprendra un voyage initiatique et reprendra la lance sacrée à Klingsor, qui aura vainement tenté de le corrompre en obligeant sa servante Kundry à le séduire.

Acte 1

C'est l'exécution du Prélude, la scène s'éclaire lentement. Femmes et hommes sur scène sont vêtus en tenues de ville d'aujourd'hui, robes et complets-cravates, représentent un miroir de l'auditoire réel. Ils retirent une partie de leurs vêtements, cravates, vestons, chaussures. Chanteurs et figurants nous aspirent alors dans le mythe wagnérien. Ils évoluent sur un décor incliné évoquant une terre stérile, ravagée, craquelée par la sécheresse, post-apocalyptique.

Au centre, une longue faille sépare les hommes des femmes, sorte de ligne de démarcation entre principes féminin et masculin. Tout simplement magnifique!

À notre gauche, donc, la cohorte de femmes reste muette, assiste visuellement les interventions de Kundry, servante tourmentée de Klingsor qu'incarne l'excellente soprano Evelyn Herlitzius. Les interventions les plus consistantes du premier acte sont celles de la basse René Pape, narrateur du récit arthurien dans le rôle de Gurnemanz, ainsi que du baryton Peter Mattei, bouleversant de justesse dans son rôle d'Amfortas. Durant cette séquence, Parsifal y est identifié comme le rédempteur potentiel. Le ténor Klaus Florian Vogt en porte bien les traits de personnalité.

Acte 2

Une légion de «Filles-fleurs» vêtues de surplis d'un blanc immaculé, armées de lances rutilantes, surgissent entre deux falaises anthracite aux reflets empourprés, au bout desquelles le ciel rougeoie, s'enflamme. Au terme d'une exposition musclée des intentions du maléfique Klingsor (le baryton-basse russe Evgeny Nikitin) auprès de Kundry, à qui le magicien confie la mission de séduire Parsifal, ce dernier apparaît. Les Filles-fleurs tentent alors de le charmer avant que Kundry ne s'amène et tente à son tour de le faire basculer dans le plaisir de la chair, pour ainsi en neutraliser le pouvoir rédempteur. Nous sommes au coeur de la quête de compassion du héros qui saura résister au péché, repousser Kundry, désintégrer Klingsor, s'emparer de la lance sacrée et se montrer à la hauteur du Graal. 

La symbolique du péché est illustrée par un flot de sang qui inonde la scène entière.

Par capillarité, le lit des ébats avortés entre Kundry et Parsifal ainsi que les robes virginales des Filles-fleurs sont souillés de rouge. Saisissant, dites-vous? Wow! On peut certes critiquer vertement les fondements mystico-philosophiques de la corruption de la chaste sainteté chrétienne par le désir charnel, on peut aussi se ranger du côté de Nietzsche qui avait rejeté ce libretto, déçu par un Wagner vieillissant, de qui il avait été proche, mais on ne peut quand même rester indifférent devant un tel spectacle.

Côté chant, les échanges entre la soprano et le ténor sont tout à fait remarquables, particulièrement flamboyants chez Evelyn Herlitzius. Ce dialogue dépasse la morale et la croyance, on en ressent aussi les tourments psychologiques. On goûtera aussi le soutien de l'orchestre et la direction éclairée de Yannick Nézet-Séguin, brillante dans ses jeux d'intensité, dans la clarté des sections et aussi dans les silences accordés aux tensions dramatiques.

Acte 3

La terre ravagée réapparaît au troisième acte, à la différence que les humains qui l'arpentent sont eux-mêmes affaiblis, vieillis, amoindris par la malédiction. Le parallèle avec tout décor dystopique est facile à établir, ce qui confère assurément une dimension contemporaine aux enjeux soulevés par Parsifal

Des ciels ennuagés, parsemés de volutes et d'images interstellaires, sont projetés derrière les protagonistes de l'action, sorte de planétarium opératique qui étoffe la trame narrative. 

Amfortas et Gurnemanz apparaissent. Le roi blessé se penche vers une fosse mortuaire, se tord de douleur à la vue du Graal alors que revient Parsifal de son parcours contre le mal, pourvu de la Lance sacrée qui guérira Amfortas et exaucera le voeu de Kundry: accéder au sommeil éternel. On aura applaudi la performance remarquable de René Pape au cours de cet acte.

Pour qui n'a pas encore assisté à cette production, il faut en rappeler la finesse et la vision. En créant un contexte visuellement contemporain, d'une beauté plastique tout simplement exceptionnelle, en actualisant les thèmes explorés par Richard Wagner, François Girard n'a-t-il pas créé un nouveau standard? Poser la question...

Photo Ken Howard, fournie par le Metropolitan Opera

L'opéra Parsifal