Montréal n'était que la deuxième escale de sa nouvelle tournée, baptisée Freedom Tour, et ça a paru. Dimanche soir dernier, Alicia Keys a offert un concert farci de pépins, oui, mais un concert qu'il est impossible de dédaigner. 

Avouons tout de suite notre préjugé favorable à l'endroit de l'artiste r&b/pop américaine. En quatre albums, cette brillante et jolie jeune femme, musicienne déjà accomplie et compositrice douée, s'est imposée dans le paysage pop américain, d'abord en défendant un idéal de la soul et du r&b tributaire des grands de ce monde - Prince, Nina Simone, Roberta Flack, Stevie Wonder que Keys cite, en musique ou en entrevues -, puis en pondant une poignée de chansons marquantes, la plus récente étant Empire State of Mind, duo avec le rappeur Jay-Z devenu l'hymne officieux de sa ville natale. Ainsi, en relisant les notes prises durant les quelque deux heures qu'a duré ce spectacle, je ne retrouve que des trucs qui clochent dans ce concert encombré et mal agencé. Mais voilà, préjugés, parti pris, j'ai envie de les mettre aux poubelles, ces notes, et de ne retenir que les bons moments, nombreux, heureusement.

Il a bien mal commencé, ce bataclan tape-à-l'oeil, tout ce que n'est justement pas Keys, elle-même un exemple de substance et d'innovation qui détonne dans les palmarès avec la pop usinée et prémâchée. Prenant au pied de la lettre le Freedom du nom de sa tournée, la demoiselle a été poussée sur scène, enchaînée à l'intérieur d'une cage. Le mur d'écrans LED placé au devant de la scène illustrait une clôture de fer, comme celles des prisons. Pas très subtil, tout ça.

Surtout que la cage s'est coincée quelque part en chemin, alors qu'elle interprétait Caged Bird de son premier album - subtil, subtil - et Love is Blind. Bref, ça a tout pris pour qu'elle finisse enfin de sortir de là, pour nous chanter Troubles (aussi de Songs in A Minor).

La scène était moche. Toute cette quincaillerie d'escalier qui s'ouvre en deux, de portes coulissantes, d'élévateur hydraulique, de watts et de watts de lumières et d'écrans vidéo, tout ça n'aura servi qu'à porter ombrage à la musique, qui se suffisait à elle-même. Le plus navrant - et voilà le piège dans lequel elle semble être coincée -, c'est qu'Alicia Keys joue aujourd'hui dans la cour des Britney Spears, Lady Gaga et Black Eyed Peas, alors qu'on sait très bien que son oeuvre a, pour l'heure en tous cas, une valeur musicale plus élevée.

Bref, à grand coups d'images vidéo brutalement colorées (et assez bien pensées, soyons justes), de mouvements de décor et de déhanchements plus ou moins sincères, presqu'une demi-heure s'est écoulée sans que l'énergie traverse jusqu'à la foule. Il y a bien eu son succès Fallin' (embelli par d'excellents et nouveaux arrangements) qui a provoqué des cris, mais après la bruyante Another Way to Die (thème pas mémorable d'un James Bond, coécrit avec Jack White) arrivait Karma (du deuxième album) et les ordres de la demoiselle, enjoignant les fans à devenir, avec elle, des «Freedom Fighters». Chez les voisins du Sud, ça serait peut-être motivant, mais ici, aucune réaction...

Au milieu du concert, un piano à queue a été poussé au centre de la scène. Alicia Keys s'y est installée, offrant du coup les meilleurs moments de la soirée: Pray For Forgiveness, Like You'll Never See Me Again et Diary, le public en redemandait.

Mais un (autre) changement de costume plus tard, Keys était à nouveau au devant de la scène à donner des coups de hanches. Pour l'excellente Wait Till You See My Smile, elle se présente assise sur une espèce de chaise de dentiste du futur, effort ridicule pour se raccrocher au thème, vaguement plus électro et moderne, de son récent album.

C'était alors une bonne chanson (ou presque) après l'autre; la bombe Put it in a Love Song a fait son effet, Un-Thinkable, l'impeccable Try Sleeping With a Broken Heart et son adorable synthé rétro, même le succès No One avait revêtu les airs minimalistes, il ne restait à la chanson qu'un rythme sourd et linéaire. Keys, en voix pendant toute la soirée, redonnait charme et mélodie à la chanson. Pour clore le tout sur une bonne note, au rappel, Empire State of Mind.

C'est bien parce qu'on l'aime, cette musicienne, que nous ne sommes pas repartis déçus.