Avec Métastases, Keith Kouna a lancé en mars dernier une œuvre-somme, pleine de son insolente verve et de son indécrottable tendresse. Il nous a donné rendez-vous près de son ancienne école primaire.

(Saint-Augustin-de-Desmaures) Assis sur un banc, en plein après-midi, dans la cour de son ancienne école primaire, Keith Kouna, avec sa gueule de vétéran des navires de la nuit et ses cheveux de clochard céleste, ne ressemble pas du tout au résidant type de la banlieue plutôt proprette qu’est aujourd’hui Saint-Augustin-de-Desmaures.

Mais Sylvain Côté, 48 ans, est bel et bien un pur produit de Saint-Aug’(prononcé Saint-Thug), une ville qui, lorsqu’il était enfant, charriait son lot de préjugés. « C’était vachement moins développé. Dans le temps, Saint-Aug’, c’était le trou. À la polyvalente à Sainte-Foy, même les profs écœuraient le monde de Saint-Aug’ ! » Petit sourire narquois. « Mais bon, aujourd’hui, la prof de maths qui nous traitait de farmer, elle reste ici. »

C’est le cadeau posthume de sa grand-mère Lucina, une parcelle de champ couchée sur son testament pour son petit-fils, qui ramènera tranquillement le double K vers son patelin, en 2007.

PHOTO EDOUARD PLANTE-FRÉCHETTE, LA PRESSE

Keith Kouna

Je vivais une époque crissement paumée. Je restais à Limoilou et j’ai décidé de tout sacrer là pour m’installer une roulotte avec une grande bâche sur la terre dont j’avais hérité. C’était fuckin’ redneck et ç’a donné le meilleur été de ma vie.

Keith Kouna

Ne pas s’endormir

Officiellement propriétaire depuis un an d’une vraie maison dans la ville de ses premiers mauvais coups, Keith Kouna, père d’un garçon de 5 ans, ne s’est pas pour autant métamorphosé en banlieusard obéissant, si l’on se fie à Métastases.

Sur son cinquième album solo, aussi long et proliférant qu’un disque double, le chanteur se fait tour à tour crooner de cabaret (Momies), parodiste de Trenet (Les vieux qui courent), nécromancien new wave (Cadavres), diariste baudelairien (Le narratif), cowboy esseulé (Aux quatre vents), rockeur stellaire (C’est un bum) et victime courroucée de la stupidité endémique (Les gens).

Et si l’album blanc avait été enregistré par quatre fans de Tom Waits et des Bérus, plutôt que par les Beatles ? Ça aurait peut-être ressemblé à ça. Parce que comme sur l’album blanc, Métastases alterne entre d’indéniables grandes chansons (Au revoir, Américaines) et une série de chansonnettes volontairement bouffonnes. Bien qu’il possède un coup de pinceau virtuose digne des fresques dégoulinantes de stupre et de sang de Géricault, Keith Kouna ne peut s’empêcher de semer ici et là quelques barbots, d’une fabuleuse impertinence.

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Il serait néanmoins injuste de réduire Métastases à ses facéties, tant cette œuvre-somme réalisée par Alexandre Martel trouve sa cohérence dans ses apparentes contradictions, sa part de chansons absurdes devenant une manière de miroir de l’absurdité de cette vie à laquelle il serait une erreur de ne pas parfois tirer la langue.

Qu’est-ce que la liberté, selon le poète punk ? « C’est faire ce que tu veux faire. Avoir du temps. Te faire du fun. Et c’est aussi ne pas avoir peur du ridicule. Très tôt, avec Les Goules [son ancien groupe], j’ai appris ça, et ça m’a tout permis. Le monde est souvent pogné dans des questions du genre "Qu’est-ce que les autres vont penser ?" S’en câlicer, ça aide. »

Grâce à Miller

Cette crainte du compromis qui corrompt se comprend aisément en jetant un regard dans le rétroviseur de Keith Kouna qui, au début de sa vingtaine, quittera le Québec avec un billet ouvert pour l’Europe. Il bambochera là-bas pendant plusieurs mois, guidé par des rêves qu’avait plantés dans sa caboche sa fréquentation de l’univers d’Henry Miller.

Parce que s’il jouait, à 15, 16 ans, du Slayer et du Iron Maiden avec ses chums dans le soul-sol d’une banque désaffectée de Saint-Aug’, le p’tit Côté a aussi été un lecteur précoce, qui s’était fait mettre les livres de l’auteur du Cauchemar climatisé entre les mains dès l’adolescence.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Keith Kouna en spectacle

Je suis parti avec 100 $, je vivais à chanter dans les bars et les trams. Je débarquais à Montpellier, j’allais chanter devant les restaurants, je me mettais à jaser avec du monde et, finalement, on m’offrait une place où coucher. Aujourd’hui, je ferais ça et j’aurais les flics au cul.

Keith Kouna

Les Goules, un groupe né au début du millénaire des délires musico-éthyliques dans lesquels ses amis s’enfonçaient le soir avant d’aller au bar, l’accaparera un temps à son retour. Un long détour après lequel il reviendra en 2008 à son propre répertoire, qui continue de fleurir en marge, avec son parti pris pour les tout croches, les exploités, les requins et les malpropres.

« L’idée, c’est de durer et de ne surtout pas attendre les médailles, l’argent et le succès, observe Kouna. Il y a une base d’exigence envers moi-même que j’essaie de cultiver, parce que ce qui me fait le plus peur, c’est de ramollir, de m’endormir, devenir paresseux, me la donner facile. Mais si tu fais du bon stock, les gens vont être au rendez-vous. De toute façon, il y a toujours eu du monde trop connu qui ne devrait pas l’être et du monde peu connu qui devrait l’être plus. »

Le 15 juin, à 21 h, aux Foufounes Électriques, et en tournée partout au Québec

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