Boomtown Café, le premier album du groupe Abbittibbi, depuis longtemps impossible à trouver, sera offert cette semaine dans une nouvelle édition rematricée à partir des bandes maîtresses. De son enregistrement en 1981 à cette nouvelle version, c'est une aventure de bout en bout, nous racontent Richard Desjardins et Rémi Perron. Mais surtout l'occasion de réparer un rendez-vous manqué.

«On célèbre un non-événement», lance en riant Richard Desjardins, attablé avec son complice Rémi Perron sur une terrasse de la rue Ontario. En 1981, lorsque le groupe Abbittibbi a enregistré Boomtown Café après avoir refusé deux ou trois propositions douteuses de producteurs, ses membres avaient beaucoup d'espoir. «On avait très confiance en la toune Rose-Aimée, se souvient Desjardins. Elle est devenue numéro 1... en 2006, avec Dany Bédar et le groupe La Brassée!»

À sa sortie, Boomtown Café n'a pas eu le succès escompté, ne leur a pas «rapporté une cenne» et les deux productrices de l'album ont disparu dans la nature avec les bandes maîtresses. «On n'a jamais eu de nouvelles ni jamais su combien avaient été pressés, note Rémi Perron. Il n'y a jamais eu de lancement. Et la façon dont ça s'est fait, on n'était pas contents pantoute, ni de la pochette ni du mixage. Ça avait été conçu pour passer à la radio AM, on écrasait les hautes... ça donnait quelque chose de flat. Ça nous a choqués, mais tsé, on n'avait rien à dire.»

Grâce à Facebook...

Pas de doute, Boomtown Café est un album d'années de bohème, enregistré en 1980 et 1981 au studio Bobinason de Montréal et qui réunissait à l'origine toute une gang: Richard Desjardins, Gary Farrell, Rémi Perron, Claude Vendette, Theo Busch et Michel Jetté, auxquels se sont joints Denis Champoux, Pierre Cormier, Alain Blais et Médéric Lozier (membre initial d'Abbittibbi). Malgré son échec commercial, plusieurs pièces de ce disque sont passées à la postérité. On n'a qu'à penser à Y va toujours y avoir, Le beau grand slow, Le chant du bum ou Rose-Aimée.

Mais comment ont-ils pu retrouver les bandes maîtresses? Par Facebook, ils ont retracé l'une des productrices, Teresa Moskal, qui vit aujourd'hui en banlieue de Barcelone et ne se souvenait plus trop de ce projet. Les bandes ont été retrouvées en deux endroits différents de Montréal, pas trop abîmées, et ils ont racheté les droits. Bernard Grenon et Éric Ferron, des studios Karisma, ont réussi à les restaurer. 

«Bernard nous a dit qu'il était capable de les récupérer, ils sont allés à New York pour trouver une technique, raconte Richard Desjardins. Il m'a rappelé pour me dire : ça marche, ça sonne. Les bandes n'ont pas cassé. On est allé écouter ça chez lui et on avait l'impression d'être retourné en studio, à l'époque. On s'est dit : ben là, on sort ça!»

Rémi Perron est heureux de savoir que les fans du groupe pourront entendre cet album, depuis longtemps épuisé et devenu pièce de collection, dans sa réelle qualité. 

«Le monde avait fait des cassettes à partir du microsillon. Déjà que la qualité d'une cassette, c'est pas bon, en plus de comment le vinyle avait été pressé... Là, les gens vont redécouvrir comment ça avait été fait au départ. Et que Richard Desjardins vient de ce groupe. Nous n'étions pas ses musiciens, c'est lui qui est né de ce groupe.»

Pauvres, mais libres

On sent toute l'affection et l'amitié que Desjardins et Perron ont l'un pour l'autre pendant cette conversation où ils multiplient les anecdotes et rient aux larmes en se remémorant ces années de vaches maigres pendant lesquelles, écrit Desjardins dans le livret, ce sont leurs blondes qui les ont sauvés. «Moi, c'est ma blonde qui s'était sauvée », lance Rémi Perron, hilare. On comprend bien ce que veut dire Desjardins lorsqu'il écrit: «Je n'ai jamais été aussi pauvre de ma vie, mais je n'ai jamais autant ri qu'avec cette gang de gars-là.»

«On n'était pas là pour l'argent», souligne Rémi Perron. «On ne devait rien, mais rien, à personne», renchérit Desjardins. Tout de même, on sent un peu de regret chez Perron. 

«La seule chose que je trouve triste là-dedans, c'est que moi, je n'ai plus 32 ans, j'en ai 69. À 32 ans, on aurait ben aimé ça avoir eu quelque chose pour pouvoir manger et pouvoir continuer un peu. On avait une soixantaine de pièces, et il y en avait 11 sur cet album.»

L'industrie musicale est-elle plus impitoyable aujourd'hui? Elle l'a toujours été, mais Richard Desjardins a vécu récemment une expérience révélatrice. «J'ai écrit la toune Vimy l'an passé. J'ai été numéro 1 au Canada. Ça m'a coûté 1800 $ pour faire la toune pis ça m'a seulement rapporté 2000 $. J'ai été numéro 1! Je me suis dit: les jeunes artistes, esti! Tu ne gagnes rien dans ce métier-là. Ça m'a striké quand j'ai reçu mes droits d'auteur. Numéro 1... imagine-toi le 30e

Avec le recul, quelle est la leçon la plus importante de Boomtown Café? «Qu'il fallait le refaire », répond Desjardins. « Et qu'il ne faut jamais faire confiance aux producteurs», conclut Rémi Perron.

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FOLK-ROCK. Boomtown Café. Abbittibbi. Foukinic. En vente depuis vendredi.

L'album sera aussi offert en version numérique et dans une édition vinyle limitée à 1000 exemplaires.

image fournie par Foukinic

Boomtown Café, d'Abbittibbi