Voici le top électro de notre journaliste pour 2017.

1 Arca

ARCA

XL

Connu sous le pseudonyme d'Arca, le Vénézuélien Alejandro Ghersi a lancé son enregistrement le plus incarné, celui qui porte la plus lourde charge émotionnelle et la plus grande profondeur compositionnelle. Bien au-delà de ses capacités de réalisateur pour la pop de création et le hip-hop (Björk, Kanye West, FKA Twigs), Arca n'a cessé de progresser en tant que compositeur, musicien et chanteur - s'exprimant en espagnol. On admire la cohabitation de la violence bruitiste et de la volupté mélodique. On se réjouit de ces émotions vraies. Irruptions, explosions, secousses, tremblements, crépitements, mitrailles, complaintes, élans passionnés, sensualité, androgynie. Ce chaos organisé laisse déferler des torrents d'imagination, réunit toutes les qualités de la grande expérience sonore, celle qui reste gravée et qui émerge au sommet de la liste de 2017.

2 Black Origami

JLIN

Planet Mu

William Basinski (Holy Child), Holly Herndon (1 %), Fawkes (Calcination) et Dope Saint Jude (Never Created, Never Destroyed) ont collaboré à cet album majeur composé et réalisé par l'Afro-Américaine Jerrilynn Patton. Originaire de Gary, en Indiana, elle est sans conteste l'une des femmes les plus brillantes et les plus accomplies sur la planète électronique. La spiritualité et le mouvement sont les thèmes centraux de cette électro d'inspiration indienne - particulièrement le travail de la chorégraphe Avril Stormy Unger, issue de Bangalore. Dans ce chapitre lumineux de son oeuvre, Jlin a fait évoluer considérablement un langage électronique déjà riche, plus proche des styles techno, footwork et ghettotech. En intégrant des cellules rythmiques d'Asie méridionale - les plus complexes de toutes les grandes musiques du monde -, la musicienne propulse son art vers l'universel.

3 Dust

LAUREL HALO

Hyperdub

Depuis plusieurs années, on observe le talent extraordinaire de cette Américaine d'Ann Arbor transplantée à Berlin ; on se prosterne devant son récent Dust, assurément un des grands albums électroniques de 2017. Le traitement vocal et mélodique suggéré ici peut être un facteur rassurant pour les mélomanes qui craignent la trop grande abstraction, et c'est tant mieux. Souvent inspirées du jazz contemporain, du groove africain ou du hip-hop, les métriques de cet opus contribuent aussi à assouplir et arrondir la proposition, fascinant bouillon de culture où le lexique électroacoustique se fraye un chemin à travers plusieurs territoires connus et en réaménage plusieurs, inspirés, riches, fascinants. À coup sûr, nous ne sommes nulle part ailleurs que sur la piste de Laurel Halo.

4 Mnestic Pressure

LEE GAMBLE

Hyperdub

Avec Mnestic Pressure, le Britannique Lee Gamble s'approche de l'électroacoustique savante en proposant un collage extrêmement contrasté de fragments sonores et musicaux. Les rythmes de ce Mnestic Pressure peuvent relever de métriques complexes et frénétiques, mais peuvent aussi se simplifier et rejoindre la jungle, la drum & bass ou la techno originelles, soit les sources stylistiques de l'approche qu'on connaît à cet artiste issu de Birmingham. Idem pour la surimpression de progressions harmoniques simples, nombreuses au programme, sous lesquelles des discours mélodiques peuvent se densifier et offrir des trajectoires très élaborées, même si parfois hachurées ou carrément accidentées.

5 Colón Man

EQUIKNOXX

DDS

Après s'être fait remarquer en 2016 avec l'excellent enregistrement Bird Sound Power, les Jamaïcains Gavin Blair (Gavsborg) et Jordan Chung (Time Cow) ont engendré ce Colón Man, fort différent de ce qui se bidouille musicalement dans cette île. La douzaine de riddims au programme s'inscrit dans de nouvelles tendances électroniques afro-britanniques et non dans les courants dominants dans l'île. On peut certes en identifier la filiation jamaïcaine, notamment par le tempo souvent moyen ou lent de ces rythmes insulaires, mais la dimension technoïde l'emporte largement et mène à croire que ces jeunes cerveaux savent lire l'avenir, capables d'explorer des musiques abstraites et de ficeler leurs découvertes à leur culture d'origine.

6 Love What Survives

MOUNT KIMBIE

Warp

L'approche électro de Dominic Maker et Kai Campos ne prend pas les directions du dubstep, de la house, du disco, du R&B ou du hip-hop, mais plutôt celles de l'art pop, du rock expérimental, du post-punk anglais ou même du krautrock allemand. Rythmes, mélodies, harmonies et ambiances y sont majoritairement constitués de fréquences de synthèse, mais leur assemblage génère une diversité de climats sonores enchaînés en toute cohérence. La participation de la très douée Micachu -  elle-même à la barre d'un groupe visionnaire au Royaume-Uni -, de la chanteuse française Andrea Balency, du jeune prodige King Krule ou encore d'un James Blake extirpé de sa zone de confort étoffe à souhait cet enregistrement.

7 The Kid

KAITLYN AURELIA SMITH

Western Vinyl

The Kid, sixième album studio de Kaitlyn Aurelia Smith, se positionne avantageusement parmi les propositions électroniques émanant de la côte Ouest. Cet album a un réel pouvoir d'attraction parce qu'il intègre la mélodie vocale et la forme chanson, sans toutefois se transformer en pop à saveur électronique. Le foisonnement des sons de synthèse, de sons naturels traités subséquemment et de jeux de claviers contribue à créer un style très personnel. Les amalgames référentiels sont d'autant plus importants dans la création de la facture : évocations de jeux vidéo, sons de la nature (chants d'oiseaux, cascades d'eau, etc.), musiques orientales chinoises, minimalisme américain, indie pop, etc. Luxuriant, ingénieux, très sensuel.

8 Plunge

FEVER RAY

Rabid-Mute

Au terme d'une pause prolongée, la Suédoise Karin Dreijer Andersson a mis de côté le projet The Knife (avec son frère), refait surface en tant que Fever Ray et ainsi créé un album électro où dominent les émotions viscérales et les chants fédérateurs. Paula Temple, Deena Abdelwahed, NÍDIA, Tami T, Peder Mannerfelt et Johannes Berglund ont coréalisé cet album pour le moins vibrant, qui porte la charge essentielle des musiques ou chansons qui vont droit au coeur. L'urgence du ton, la qualité des accroches mélodiques, ces tripes étalées sur la table produisent l'impact émotionnel voulu. Les structures ici proposées n'ont rien de complexe ou d'abstrait, les arrangements, textures, ornements synthétiques ou insertions instrumentales sont au service de ces chansons et de leur interprète.

9 Take Me Apart

KELELA

Warp

Kelela Mizanekristos offre un heureux mélange de R&B/soul, grime, hip-hop house, dubstep, techno. D'origine éthiopienne, native de Washington DC, cette Afro-Américaine avait suscité beaucoup d'enthousiasme avec le mixtape Cut 4 Me en 2013, ce qui lui a permis de prendre son envol et de fréquenter des artistes d'exception, de Solange Knowles à Damon Albarn en passant par Arca. Deux ans après la sortie de l'EP Halluciniogen, elle lance enfin l'album Take Me Apart, très attendu car elle était un des rares artistes R&B à se fondre dans l'électro avec un tel discernement. D'une part, nous sommes en Amérique du Nord sur un territoire soul/R&B dans les airs, les harmonies et l'accent, et de l'autre, nous sommes au Royaume-Uni dans les arrangements, les textures, plusieurs rythmes électroniques, l'esthétique électro.

10 Weightless

JASSS

Ideal Recordings

L'Espagnole JASSS, alias Silvia Jiménez Alvarez, peut compter sur un solide parcours et une vaste culture pour suggérer une production de cette envergure. Elle a parfait sa connaissance des sons, styles musicaux et traitements/filtrages à travers de longues résidences aux Pays-Bas et en Allemagne, où elle vit actuellement. Les instruments orientaux peuvent orner des rythmes lourds ; des séquences de jazz contemporain et des fragments de conversation se fondent dans un magma de fréquences sombres et linéaires ; des rythmes peuvent se déployer dans un cadre minimaliste et austère, et ainsi de suite.