Cent trente-cinq femmes issues du milieu musical ont décidé de dénoncer le sexisme et les injustices qu'elles subissent régulièrement au travail.

«Nous nous entendons toutes pour dire que le sexisme existe bel et bien dans l'industrie de la musique et que la plupart d'entre nous l'avons vécu, à un moment ou à un autre», peut-on lire dans une lettre du nouveau regroupement Femmes en musique (FEM), dont font partie Coeur de pirate, Ariane Moffatt, Les soeurs Boulay, Safia Nolin, Lisa LeBlanc, Marie-Pierre Arthur, Mara Tremblay, Laurence Lafond-Beaulne, Betty Bonifassi et Catherine Durand.

«Je me suis déjà fait dire par un gars qu'une fille au drum, ça ne groovait pas vraiment. Et ça, c'est une histoire parmi tant d'autres. Il y en a de bien plus épouvantables», explique Ariane Moffatt.

Les soeurs Boulay abondent dans le même sens: «Quotidiennement, on sent le sexisme. Toutes les filles dans le milieu vous le diraient. On nous dévalorise, on nous regarde comme si on ne savait pas de quoi on parlait, des techniciens nous parlent comme si nous n'avions jamais fait de test de son de notre vie...»

Toujours d'après les signataires, la qualité de leur travail est moins reconnue par leurs pairs: «La dernière femme à avoir remporté le trophée de l'auteure-compositrice de l'année à l'ADISQ était Francine Raymond, en 1993», peut-on lire dans leur missive.

«Pour moi, Safia Nolin est une auteure du même calibre que Richard Desjardins. Mais depuis longtemps, c'est dans nos mentalités que ce sont surtout des hommes qui écrivent bien», indique Laurence Lafond-Beaulne, du tandem Milk & Bone.

Faible représentation dans les festivals

Parmi les autres inégalités qu'elles dénoncent, il y a l'écart salarial entre les hommes et les femmes, ainsi que la faible représentation des femmes dans les programmations en salle et dans les festivals.

«Au cours des derniers jours, nous avons parlé du Festival Diapason à Laval, qui n'a pratiquement pas de filles dans sa programmation. Mais ce n'est pas un cas isolé : nous retrouvons moins de 25 % de femmes dans tous les festivals. Et 25 %, c'est rare. Rimouski [Les Grandes Fêtes Telus] a un beau 0 % de femmes», s'insurgent Les soeurs Boulay.

L'industrie du spectacle fonctionnant en partie grâce aux subventions, les signataires de la lettre considèrent que cela devrait venir avec une responsabilité sociale, «notamment celle de viser le respect des valeurs d'égalité de notre société».

Mélanie et Stéphanie Boulay ne croient pas qu'il faille exiger la parité pour le moment. Mais avec le FEM, elles feront des propositions concrètes aux programmateurs pour s'assurer que plus d'auteures-compositrices-interprètes seront invitées: «À l'UDA, 50 % des membres sont des femmes, il n'y a donc pas de raison que nous n'occupions pas plus ou moins 50 % des programmations», avancent les interprètes de Mappemonde et Jus de boussole.

Où sont les musiciennes?

Ariane Moffatt se produira avec le collectif féminin Louve aux FrancoFolies de Montréal, notamment pour démontrer qu'un groupe composé uniquement de femmes peut autant faire lever la foule qu'un groupe d'hommes.

«Je suis allée voir trois gros shows dans les derniers jours et il n'y avait aucune fille sur le stage. En 2017, ça ne se peut pas», souligne-t-elle.

Pour la créatrice de Debout et Miami, le milieu doit prendre ses responsabilités et s'assurer que les femmes seront plus présentes: «Dans mon band, il y a deux filles et deux gars. Il faut faire de la place aux femmes.»

À ce sujet, Laurence Lafond-Beaulne ajoute: «Je joue en ce moment avec Alex Nevsky et il s'est assuré d'avoir autant de femmes que d'hommes dans son équipe. Les mentalités commencent à changer et il faut continuer d'en parler pour que de plus en plus de personnes fassent comme Alex.»

La chanteuse de 26 ans est persuadée que ce n'est pas par mauvaise volonté que les programmateurs les oublient ou que des artistes masculins s'entourent uniquement de musiciens: «En ouvrant le débat, les gens vont peut-être plus y penser dans le futur», dit Laurence Lafond-Beaulne.

Au cours des prochains mois, les membres de FEM assurent qu'elles proposeront des pistes de solution concrètes pour améliorer la situation: «Ce n'est que le début du dialogue», dit Laurence Lafond-Beaulne.

Photo DAVID BOILY, Archives LA PRESSE

Stéphanie et Mélanie Boulay

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, Archives LA PRESSE

Camille Poliquin et Laurence Lafond-Beaulne du duo Milk & Bone