Le spectacle de chanson francophone, les statistiques le prouvent, se vend moins bien. Et le milieu, on l'a vu au gala de l'ADISQ, affûte ses armes en vue des prochaines audiences du CRTC sur les quotas de «musique francophone» à la radio, que les radiodiffuseurs, Bell Média et Cogeco en tête, veulent ramener de 65 à 35 %.

Toujours première à monter aux barricades, l'ADISQ est à la tête d'une coalition de huit organismes vouée à la défense de la chanson francophone qui représente pour plusieurs la totalité de la culture québécoise. «Notre chanson se meurt»... Ça risque de chauffer à Québec.

Entre-temps, au milieu des attaques préventives et des cris d'alarme, des voix nuancées se font entendre. Oui, les revenus de billetterie de la chanson francophone (19,2 millions) ont été en 2014 à leur plus bas niveau en 10 ans, mais...

«Il appartient aux diffuseurs de s'adapter au fractionnement des publics», lance Claude de Grandpré, directeur général du Théâtre Hector-Charland de L'Assomption, lauréat des Félix du Diffuseur et de la Salle de spectacles de l'année, le mois dernier à l'ADISQ. Formidable doublé pour le diffuseur de Lanaudière, une région presque entièrement francophone.

De Grandpré est aussi président de Réseau Scènes, regroupement d'une trentaine de diffuseurs, grands et petits, la plupart de la grande région de Montréal: du Théâtre de la Ville de Longueuil au SPEC du Haut-Richelieu à Saint-Jean, du Café Chasse-galerie de Lavaltrie au Théâtre du Marais de Val-Morin. En poste à L'Assomption depuis 20 ans, Claude de Grandpré connaît bien les différences entre la réalité régionale et les positions largement médiatisées des producteurs et propriétaires de salles de la métropole.

«Les grandes salles ne doivent plus être le seul lieu de diffusion de la chanson francophone.»

Il explique que 200 spectateurs dans une salle de 600, «ça peut faire vide même avec les gros systèmes de lumière et de son», alors que, avec le même artiste sur scène, «200 personnes emplissant une petite salle sont à même de créer l'énergie et l'ambiance propices à une grande rencontre».

Petites salles, grand potentiel

La solution, bien sûr, est de se doter de salles de petite capacité... comme l'ont déjà fait la plupart des grands diffuseurs. Ainsi, outre sa grande salle Pratt & Whitney (911 places), le Théâtre de la Ville exploite maintenant la salle Jean-Louis-Millette (360 places) et Le P'tit Bar de Jean-Louis où peuvent s'asseoir 200 personnes. À Valleyfield, Valspec peut recevoir à la salle Albert-Dumouchel (850 places; Nicola Ciccone y chantait samedi), au Cabaret d'Albert (520) et au Café Chez Rose, où Irving Blais se produira samedi prochain. À Sainte-Agathe, le vieux Patriote, dont Yves Lambert clôturait samedi la saison dans la salle Percival-Bloomfield (650 sièges), peut aussi accueillir 120 spectateurs dans son lobby transformé en Boîte à chansons. Énergie, ambiance...

Pour M. de Grandpré, la liste des chanteurs québécois capables de remplir sa grande salle de 800 places n'est pas très longue; il cite Pierre Lapointe, Éric Lapointe, Marc Dupré, Kevin Bazinet, le groupe lanaudois Les Cowboys fringants, Fred Pellerin de Saint-Élie, Plume Latraverse et Louis-Jean Cormier, qui représente un cas rare d'artiste «national» développé localement.

«D'août 2012 à août 2016, explique Claude de Grandpré, Louis-Jean Cormier sera venu chanter 11 fois à L'Assomption. Il a commencé à l'Ange Cornu [un resto-bar qui a confié sa programmation à Hector-Charland], il a participé à un spectacle de la Saint-Jean où 10 000 personnes l'ont applaudi, et là, il est à l'affiche de notre grande salle. En tout, il a vendu 1860 billets.

«On prend la même approche avec Philippe Brach: il y avait 70 personnes, la première fois à l'Ange Cornu: on va le ramener l'été prochain... Avec l'artiste et son entourage, le diffuseur doit réfléchir pour choisir le parcours qui s'avérera le plus profitable à l'artiste et, par le fait même, au diffuseur.»

Les grands noms à Montréal

Mais il manque des noms à la liste de M. de Grandpré citée plus haut... Pourquoi le Théâtre Hector-Charland - où la chanson constitue 25 % de la programmation, derrière les variétés et le théâtre - ne présente-t-il pas des «blockbusters» comme Marie-Mai et Jean Leloup?

«Parce que, dans ces cas précis, les producteurs ont choisi de se concentrer sur Montréal...» À preuve: Marie-Mai entre en «résidence» le 17 décembre au St-Denis pour 20 spectacles en 24 jours; à la mise en vente, 10 000 billets ont été vendus en trois heures! Question de concours: combien font 20 fois 2218 spectateurs?

Jean Leloup, lui, est à l'affiche du Métropolis (2300 spectateurs) pour huit soirs en janvier et février 2016. Paradis City... Du jamais vu depuis les enfilades d'Yvon Deschamps au Théâtre Maisonneuve dans les années 70. Et Céline Dion ne chantera pas à L'Assomption non plus, elle qui s'installera au Centre Bell pour huit concerts en août.

En 2014, aucun spectacle de chanson francophone ne comptait parmi les 25 spectacles les plus populaires au Québec: 2016 sera différent. Claude de Grandpré et ses collègues diffuseurs des régions ne participeront pas directement à ce palmarès, occupés qu'ils seront avec d'autres artistes, à mettre le plus de monde possible dans leurs salles, grandes ou petites.

«Comme diffuseurs, souligne Claude de Grandpré, nous avons accès à des listes de spectacles qui seront disponibles en 2016; présentement, je compte 285 projets de spectacles de chansons. Pas tous à maturité, évidemment, mais de niveau assez élevé pour affirmer que nous sommes dans une période riche en création chansonnière.»

«Notre chanson», loin d'agoniser, serait-elle en train d'emprunter un nouveau parcours?