Chris Hadfield voulait enregistrer des chansons pendant son séjour de cinq mois dans la Station spatiale internationale, en 2013. Mais il ne se doutait pas que c'est à son retour sur Terre que ses chansons se retrouveraient sur le premier album de l'histoire de l'humanité enregistré dans l'espace.

Premier Canadien à occuper le poste de commandant de la Station spatiale internationale et à marcher dans l'espace, le colonel Hadfield baigne dans la musique depuis sa tendre enfance. Il a joué dans des groupes pendant 25 ans et s'est même produit il y a une dizaine d'années devant plusieurs dizaines de milliers de spectateurs au Festival interceltique de Lorient, en France.

Pour sa dernière mission, Chris Hadfield allait non seulement chanter et jouer de la guitare là-haut, comme il l'avait fait dans la station Mir en 1995, mais il en profiterait également pour enregistrer le tout, même si les conditions n'étaient pas idéales. Pas facile de jouer de la guitare quand on a l'impression de flotter dans une piscine...

Dès le troisième jour de sa mission, il a enregistré avec son iPad sa chanson de Noël, Jewel in the Night, inspiré en cela par la vue imprenable qu'il avait du Nil et de Jérusalem, tout en bas. Sur Terre, son fils Evan a eu l'idée de diffuser cette chanson sur SoundCloud.

«Tout à coup, des centaines de milliers de personnes ont appris qu'il y avait un musicien qui enregistrait des chansons dans la Station spatiale, raconte Chris Hadfield, qui nous reçoit dans la suite d'un hôtel montréalais. De partout, on s'est mis à me demander d'enregistrer Space Oddity [de David Bowie]. Je n'étais pas d'accord. Je ne voulais pas chanter une chanson déprimante sur la solitude. Par contre, j'étais prêt à chanter les dangers et les craintes d'une telle aventure, mais aussi la joie qu'elle procure: c'est comme si on venait juste d'ouvrir une porte sur le reste de l'univers et qu'on franchissait le seuil de cette porte.»

Réécrire Bowie

Finalement, Evan Hadfield a convaincu son père après avoir réécrit en partie le texte de Space Oddity tout en l'actualisant. Plus encore, Bowie lui-même a dit que c'était probablement la version la plus poignante qui avait été faite de son classique, et il a autorisé la diffusion du vidéoclip de l'astronaute canadien, qui a été vu par plus de 27 millions d'utilisateurs de YouTube.

«C'est un énorme compliment, dit Hadfield à propos du commentaire du caméléon du rock, avec qui il a eu un échange de courriels. Il m'a félicité pour mon album, il a été très courtois. Si le vidéoclip de Space Oddity a été aussi populaire, c'est, je pense, parce qu'il permettait aux gens de voir comment ça se passe vraiment dans une station spatiale. Ce n'est pas un endroit étrange peuplé de robots mais bien de personnes qui font de l'art, qui ressentent de la joie, qui ont le goût de célébrer. Je ne jouais pas dans un scénario écrit par la NASA ou l'Agence spatiale canadienne.»

Il n'en fallait pas plus pour convaincre Chris Hadfield que les gens comprennent par la musique des choses qu'ils ne saisiraient peut-être pas autrement. À son retour sur Terre, il n'avait pas pour autant l'intention de graver un album, pas plus qu'il n'avait décidé au départ de publier un livre de ses photos. Mais il ne voulait pas non plus que ces chansons se perdent.

Le piège était énorme: comment ajouter des instruments à ses versions guitare-voix sans qu'elles ne deviennent trop léchées et perdent leur essence, leur âme? Hadfield a trouvé en Robbie Lackritz le réalisateur idéal pour orchestrer les chansons comme il les entendait dans sa tête.

Chacune des 12 chansons de l'album Space Sessions: Songs From a Tin Can a sa petite histoire, depuis la berceuse Space Lullaby, écrite pour sa fille Kristin, Caroline, sur la femme d'un coureur des bois - un voyageur d'une autre époque - jusqu'à Beyond the Terra, enregistrée la veille de son retour sur Terre en fusionnant deux chansons que lui avait soumises Evan. Dans cette chanson country-folk, qui n'est pas sans rappeler Neil Young, on entend un solo de guitare électrique d'Afie Jurvanen, du groupe Bahamas, qui traduit bien la puissance de la Terre vue de là-haut, estime Hadfield.

Un homme occupé

Chris Hadfield a remisé son uniforme d'astronaute, mais il demeure un homme fort occupé. De retour à Toronto après un quart de siècle passé à Houston, il enseigne à l'Université de Waterloo, conseille le gouvernement canadien sur sa politique spatiale et se prête volontiers à des échanges avec les écoliers. Les recettes de la vente de son album seront d'ailleurs investies dans l'enseignement de la musique dans les écoles, tout comme celles de son livre de photos ont été versées à la Croix-Rouge.

L'homme peut également, comme il l'a fait la semaine dernière au Massey Hall de Toronto, raconter son aventure devant 2600 personnes tout en leur montrant ses photos et en leur chantant quelques-unes de ses chansons. Mais il n'a pas pour autant l'intention de se lancer dans une tournée de chansons ni d'enregistrer un autre album.

«Dès qu'on enregistre une chanson, on nous catalogue et on nous compare à Justin Bieber, dit-il. Je ne suis pas comme Justin Bieber. Je suis une personne qui essaie d'expliquer du mieux qu'elle le peut une expérience immensément rare.»

Justement, trouve-t-il crédibles les récents films de fiction qui ont pour thème les missions spatiales?

«Gravity, je trouve, ne représente pas bien les astronautes. Ces personnages-là ne sont pas qualifiés et ils ont de sérieuses carences psychologiques. Je ne voudrais pas me retrouver dans l'espace avec l'un d'entre eux! Par contre, The Martian est très réaliste. Le personnage de Matt Damon serait tout à fait à sa place dans une équipe d'astronautes. Il ne se préoccupe pas de choses qui se sont déjà produites. Il se demande plutôt où il en est présentement, ce qu'il peut faire et quelles sont ses chances de réussite. C'est ce que font les astronautes dans la vraie vie.»

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COUNTRY-FOLK

Chris Hadfield

Space Sessions: Songs From a Tin Can

Warner Music