Suivez-nous dans le passé, on n'y restera pas trop longtemps, a dit en substance Bono aux quelque 21 000 spectateurs qui emplissaient le Centre Bell, vendredi soir, en ce premier de quatre rendez-vous avec U2 en moins d'une semaine. Ce passé dublinois des quatre ti-culs devenus mégastars, nous y étions depuis une bonne vingtaine de minutes déjà, depuis l'instant où, au son de People Have the Power, l'hymne de Patti Smith, Bono s'était pointé le poing en l'air sur la petite scène à une extrémité de la patinoire.

S'il est encore ennuyé par les séquelles de son accident de vélo, il n'en a rien laissé paraître, même si c'est surtout The Edge qui‎ avait le diable au corps au début du spectacle. Le chanteur en lui était plus en voix que jamais, entraînant à sa suite la chorale des spectateurs dans les «o-o-o» de The Miracle (of Joey Ramone). Cette nouvelle chanson aux relents passéistes allait donner le ton à une envolée rock digne du U2 des débuts, celui qui incendiait le vieux Forum à force d'énergie et de ferveur quasi religieuse.

U2 renouait férocement avec ses hymnes d'il y a une trentaine d'années, les Electric Co. et I Will Follow, entre lesquelles se glissait tout naturellement Vertigo. Dès la deuxième chanson de la soirée, Bono présentait ses camarades dublinois comme il l'aurait fait pour un public non initié au Club Montréal, l'ancêtre du regretté Spectrum, au début des années 80.

Devant un mur du son assourdissant, Bono s'animait, faisant mine de boxer ou de jouer de la guitare, un plaisir qui lui est interdit depuis son accident de l'automne dernier.

L'ambiance, électrique, servait le but avoué de Bono et sa bande : réaffirmer sa pertinence en mêlant ses nouvelles chansons les plus énergiques à ses classiques chéris de tous.

Jusque-là, nul besoin de gadgets ni de projections. Après le décor extravagant de la tournée précédente qui s'était arrêtée à l'Hippodrome, la musique faisait le travail, et c'était fort bien ainsi.

C'est quand Bono a invité tout le monde à le suivre dans son Dublin natal que ce spectacle a atterri en 2015. La passerelle surélevée au-dessus de celle sur laquelle Bono s'était promené jusque-là s'est transformée en un écran géant rectangulaire ultramoderne à l'intérieur duquel le chanteur se déplaçait dans la Cedarwood Road de son enfance, et on a vu un sosie du jeune Bono qui grattait sa guitare et passait d'une pièce à l'autre de la maison familiale.

Par la suite, Larry Mullen Jr s'est avancé au milieu de la passerelle inférieure, martelant le rythme immédiatement reconnaissable d'une Sunday Bloody Sunday plus dépouillée qu'à l'habitude à laquelle s'est greffée la nouvelle Raised By Wolves. Sans doute le moment visuel le plus frappant du spectacle, sur le thème du Dublin déchiré par la violence et le terrorisme dans les années 70. Les artistes qui font des tournées d'arénas devront prendre des notes.

L'immense écran était maintenant couché sur la passerelle inférieure, formant un mur de Berlin qui divisait la salle en deux. U2 s'est retiré le temps d'une chanson de Johnny Cash, et quand il est revenu, on a retrouvé le groupe capable de soulever des montagnes uniquement par sa présence physique et ses chansons.

Bono, fidèle à lui-même

Bono-la-bête-politique qui a incidemment rendez-vous avec messieurs Harper, Mulcair et Trudeau, lundi, pour les remercier, a-t-il dit vendredi soir, de contribuer à la lutte contre le sida, s'est moqué gentiment de sa grande gueule avant Bullet The Blue Sky et il a fait un coup de chapeau à Amnistie Internationale.

C'était le Bono un tantinet messianique qu'on a toujours connu, le leader bavard et charmant qui glisse quelques mots de français çà et là. Un homme juste un peu plus vieux et moins innocent que ne le suggère le titre du dernier album de U2, dont les chansons, dans la deuxième partie du spectacle, ont vite été éclipsées par ce qui est devenu un enchaînement de grands succès.

Ainsi va la vie.

U2 remet ça au Centre Bell samedi soir, mardi et mercredi.