«Il y a tellement de musique maintenant. L'attention des gens est assez limitée. Il faut un format court qui va attirer l'attention des gens sans brûler un album au complet», explique William Rondeau, cofondateur de la boîte Costume Records.

Alors que les programmes de subventions pour la musique francophone favorisent la production d'albums complets, de plus en plus de groupes montréalais anglophones réalisent des mini-albums (aussi appelés maxis ou EP) et ont du succès à l'étranger.

Le duo The Muscadettes, géré par Costume Records, vient de lancer un premier EP. «Tu fais mieux de sortir un EP pour te faire connaître», dit Kathleen Ambridge. «Cela n'a pas de sens de sortir un album complet quand personne ne te connaît», ajoute sa soeur jumelle Chantal.

«Le EP permet d'intéresser le public sans dévoiler tout ton matériel. Tu peux bâtir une stratégie en sortant régulièrement quelque chose de nouveau», indique William Rondeau.

Heat a aussi lancé un EP il y a un an. Le quatuor a eu un clip en vitrine sur le site du populaire magazine britannique NME et s'est fait entendre sur les ondes de CHOM où il tourne sans relâche.

Autre exemple: The Posterz, le groupe hip-hop de Montréal qui excite la presse étrangère spécialisée depuis un premier EP lancé à la fin de 2013. Un deuxième maxi suivra sous peu avant un premier album complet.

Mardi, Dear Criminals lancera son quatrième EP, Strip. «On aime la formule. L'opération est moins lourde, indique la chanteuse Frannie Holder. C'est moins coûteux et la période de création est plus courte.»

Le format du maxi permet également au trio «de rester collé sur l'air du temps» et «de nourrir son public» avec des nouveautés. «Aujourd'hui, les gens écoutent des tounes, lance Frannie. C'est difficile et frustrant de travailler pendant deux ans sur un album qui peut être éphémère.»

«Le EP est l'entre-deux parfait, mais on ne peut pas avoir de subvention avec un EP», se désole-t-elle.

Ce n'est pas un hasard si les nombreux groupes montréalais qui sortent des EP sont anglophones.

Les groupes francophones peuvent se tourner vers Musicaction qui soutient indirectment la production des maxis dans le cadre de son programme de soutien à l'émergence et de celui pour la production et promotion de titres. La proportion de EP financés demeure minime par rapport aux albums complets (LP). En 2014-2015,  Musicaction a financé indirectement une dizaine de EP, contre quelque 100 LP.

L'équivalent anglophone de Musicaction est Factor. Selon les gens que nous avons interviewsés, il est plutôt difficile d'obtenir de l'aide de Factor. Plusieurs estiment que le modèle de subventions basé essentiellement sur la production et les ventes d'albums complets est désuet, surtout à l'ère des simples numériques et de la lecture en continu. Mieux vaut investir dans la promotion et les tournées pour que l'artiste soit connu, plaide-t-on. On évite de lancer un premier album qui pourrait passer inaperçu.

Michael Bardier, imprésario du groupe Heat et fondateur de l'agence Heavy Trip, aimerait que les programmes de subventions soient plus souples. «Je considère que je fais beaucoup de développement à l'international. Je travaille dans une dizaine de pays et j'ai booké 350 shows l'an dernier. Je fais beaucoup rayonner le Québec à l'étranger, mais comme je suis incorporé depuis moins de deux ans, je ne suis pas admissible aux subventions accordées par la SODEC.»

La passion ne sous-traite pas

Michael Bardier a fondé sa boîte après avoir travaillé pour un label établi, Dare to Care Records/Grosse Boîte (Coeur de pirate, Bernard Adamus). Heavy Trip réunit des artistes qu'il «écoute à la maison», dont Solids, Foxtrott, Alaclair Ensemble, Duchess Says et Pypy. Même Jimmy Hunt lui a confié son agenda de tournée.

Heavy Trip n'est pas un label, même si Michael Bardier a une entente de distribution numérique avec Sélect. «Mon trip, c'est le booking.»

Pour l'instant, Michael Bardier préfère sous-traiter un minimum de tâches. C'est lui - et non un attaché de presse - qui a su convaincre NME de dévoiler le clip de Heat. «Les gens me disent que je devrais partir un label, mais je ne veux pas engager des gens qui ne seront pas aussi passionnés que moi».    

Bâtir des équipes à la pièce

Pour Michael Bardier et William Rondeau, «qui ne risque rien n'a rien».

En août dernier, William Rondeau a offert au magazine américain Nylon de dévoiler en primeur le premier extrait du duo féminin montréalais Milk&Bone.

Comme Michael Bardier, l'ancien employé de Simone Records préfère bâtir des équipes à la pièce pour chaque artiste et chaque territoire, même si, admet-il, «c'est beaucoup de travail et beaucoup de suivi serré».

The Muscadettes, par exemple, a un label à Brooklyn. Pour le Canada, William Rondeau et son associé Sébastien Paquin se demandent s'ils vont distribuer le mini-album du duo ou l'offrir en licence à un label établi. «Le format EP nous permet de donner juste un peu de matériel sans trop de compromis», laisse-t-il tomber.

Cinq groupes montréalais qui créent le buzz à l'étranger

Heat

Il y a près d'un an, Heat a sorti son premier mini-album, Rooms, qui vient d'être réédité sous le populaire label français Kitsuné. Le groupe montréalais a tourné sans relâche au cours de la dernière année, en plus de se faire entendre ici sur les ondes de CHOM, CISM et CBC. Formé de Raphaël Bussières, Matthew Fiorentino, Alex Crow et du chanteur et parolier Susil Sharma, il intéresse beaucoup la presse étrangère. En Angleterre, le site de NME a dévoilé le clip de Rooms, en septembre dernier. À l'heure actuelle, Heat se trouve en Angleterre au festival-vitrine The Great Escape. Par la suite, il entreprendra une tournée européenne qui passera par Amsterdam et Paris. D'ici la fin de 2015, le groupe planchera sur son premier album et multipliera les spectacles au Québec, de Gaspé à Sainte-Anne-des-Monts, en passant par le Festival de jazz et le Festival d'été de Québec.

The Muscadettes

Sous l'égide du label de Brooklyn PaperCup Music, The Muscadettes, formé de Kathleen et Chantal Ambridge, a lancé il y a un mois son premier EP, Side A, au Canada et aux États-Unis. Les jumelles ont grandi à San Francisco, d'où la touche sixties et surf rock de leurs chansons, enrobée d'une brume grunge. Vous allez succomber au charme rock de The Muscadettes si vous aimez l'idée d'une rencontre entre les groupes de Phil Spector, le rock garage et The Raveonettes. Sur scène, les soeurs Ambridge seront accompagnées de deux piliers de la scène montréalaise: Jocelyn Gagné (Les Breastfeeders) et Thomas Augustin (Malajube, Jacquemort). Le premier extrait de leur EP, I'm in Love, a été dévoilé sur le site de Brooklyn Vegan, alors que le deuxième, Pearl&Oyster, a bénéficié de la notoriété de Consequence of Sound.

Syzzors

Le trio montréalais Syzzors a lancé mardi son deuxième EP intitulé Leo, paru sous une nouvelle étiquette montréalaise baptisée REC-A. L'extrait Leeches met en valeur la voix de la chanteuse Raphaëlle Chouinard. Le premier EP du groupe électro-atmosphérique avait attiré l'attention de l'influent blogue THUMP. Le second EP est en écoute sur le site du magazine canadien à l'esthétique léchée Georgie. Coréalisés par Christophe Dubé, alias CRi, et Simon Lévesque, les six titres de Leo entremêlent des sonorités pop et organiques avec des rythmes sombres et introspectifs. Parmi

ses influences, Syzzors cite autant Laroux, The XX qu'Aqua. Avis aux intéressés: le trio sera en spectacle le 24 juillet au Divan orange dans le cadre du festival MEG.

Dear Criminals

Dear Criminals sortira mardi un quatrième EP intitulé Strip, en écoute sur le site français des Inrocks. Le trio qui dit croiser l'électro-porn avec le folk hanté est constitué de deux membres de Random Recipe, Frannie Holder et Vincent Legault, ainsi que de Charles Lavoie (b.e.t.a.l.o.v.e.r.s). L'automne dernier, Random Recipe a offert plusieurs spectacles en France, où le groupe peut compter sur l'agence de tournée Alias, qui représente notamment Adèle, Hot Chip et Heat. Il a également fait une douzaine de shows en Italie. «Un blogue italien a tripé sur nous», dit Frannie Holder. «LesInrocks ont beaucoup aimé le clip avec Francis Ducharme et Clara Furey», ajoute-t-elle.

The Posterz

C'est sur le site de Noisey que le groupe montréalais The Posterz a dévoilé récemment le clip du premier extrait de son deuxième EP, Junga. À la fin de 2013, le trio formé à Montréal de Husser, Kri$ The$pirit et Joey Sherrett a fait paraître un premier maxi intitulé Starships&Dark Tints. Depuis, le hip-hop sombre et gonflé à bloc de The Posterz suscite l'enthousiasme dans des médias prestigieux internationaux comme The Guardian et Les Inrocks. L'été dernier, le groupe s'est fait remarquer au Festival de jazz et au Festival d'été de Québec. En attendant son premier album qui devrait sortir avant la fin de l'année, le groupe continue de tourner. Hier soir, The Posterz se produisait à Paris après avoir offert des spectacles à Brighton et Londres. Il participera au Festival Chromatic de Montréal, le 22 mai.

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le groupe Heat 

PHOTO FRANÇOIS ROY, LA PRESSE

Le groupe Dear Criminals 

Seoul: éloge de la patience

S'il y a une question à laquelle les membres du groupe montréalais Seoul en ont marre de répondre, c'est: «Quand allez-vous lancer votre premier album?» L'annonce officielle a été faite mercredi dernier: I Become a Shade sortira le 9 juin sous le label canadien Last Gang Records. Près de deux ans ont passé depuis le dévoilement du premier extrait, Stay With Us. Depuis, Seoul a donné plus de 70 spectacles dans plusieurs pays. Dans une entrevue sur Skype, Julian Flavin, Dexter Garcia et Nigel Ward font l'éloge de la patience.

Vos attentes par rapport à votre premier album?

Nigel: Faire un album qui se tient en un tout, ce qui est étrange compte tenu de la façon dont nous avons procédé depuis juillet 2013 en lançant un extrait à la fois.

Dévoilé en juillet 2013 sur le site de Noisey, le clip très léché de Stay With Us (vu près de 198 000 fois sur YouTube) a fait grand bruit. Aviez-vous une équipe à l'époque? Du budget de tournage?

Nigel: Non. Nous avons nous-mêmes sollicité des gens que nous connaissions et multiplié les courriels. Le clip a surpris les gens car personne ne nous connaissait.

Julian: Un ami de Vancouver qui étudiait en cinéma se rendait au Japon pour une publicité de Nike. Il voulait tourner quelque chose de plus avec son équipement. Il nous a offert ses images... C'est étrange. Le clip cadrait tellement bien avec notre travail que cela a orienté notre esthétique.

À Montréal, comment avez-vous eu vos premières chances?

Julian: Dan Seligman, de Pop Montréal, a pris un risque en nous programmant au Métropolis (en première partie de Local Natives, en septembre 2013). Sans nous connaître, il avait juste entendu notre musique. Mikey (programmateur de M pour Montréal) est venu à notre show

t il nous a aussi beaucoup aidés.

Combien de spectacles avez-vous faits depuis juillet 2013?

Nigel: La dernière fois que j'ai compté pour FACTOR (programme de subventions), nous étions à 70.

Beaucoup de temps a passé depuis l'enregistrement de l'album...

Nigel: Il y a eu du polissage et du remixage, mais oui, cela fait longtemps. On voulait que la sortie de l'album rende le plus justice aux efforts que nous avons mis, et à comment on veut qu'il soit reçu.

En fin de compte, ce recul vous a permis de lancer des extraits qui ont fait jaser et de lancer un album dont vous êtes fiers...

Julian: Il faut prendre son temps pour se dévoiler au public. Tu apprends de la réaction que suscitent tes sorties. Il faut prendre le temps d'essayer des trucs, de prendre les bonnes décisions et de bien choisir avec qui tu veux travailler.

PHOTO BERNARD BRAULT, LA PRESSE

Le groupe Seoul