La chanteuse Juliette Gréco a toujours «la niaque» et l'envie de la scène, mais c'est bel et bien sa dernière tournée que la «Jolie môme» de 88 ans lance vendredi en France car elle «veut partir debout».

«Je dis non à ce qui m'est le plus cher, à quelque chose d'essentiel pour moi, mais je veux partir debout, avec le plus d'élégance possible», confie la muse du quartier parisien bohème-chic Saint-Germain-des-Prés, le regard vif mis en valeur par son célèbre maquillage en «oeil de biche», en recevant l'AFP dans un palace parisien.

«Il y a 65 ans que je chante, c'est une longue vie de travail, il faut savoir s'arrêter avant de ne plus pouvoir. Je ne veux pas partir amoindrie. Et puis je suis une femme... On pardonne à un homme de vieillir, pas à une femme», ajoute-t-elle quand on lui rappelle que Charles Aznavour, de trois ans son aîné, continue à se produire sur scène.

Baptisée Merci et lancée vendredi en ouverture du 39e Printemps de Bourges, festival de musique dans le centre de la France, cette tournée d'adieux doit durer plus d'un an. Vingt-cinq dates sont pour le moment annoncées jusqu'en avril 2016, mais d'autres devraient suivre.

Accompagnée de son pianiste de mari, Gérard Jouannest, 81 ans, Juliette Gréco passera plusieurs fois par la capitale et se promènera en France et à l'étranger (Italie, Belgique, Canada, Allemagne, Israël).

«Je vais dans les pays qui m'ont accueillie pour dire merci», se réjouit l'interprète de Si tu t'imagines et Déshabillez-moi, confirmant qu'elle chantera bien à Tel-Aviv le 4 mai malgré ceux qui, comme la campagne internationale «Boycott, Désinvestissement, Sanctions contre Israël (BDS)» lancée par des ONG palestiniennes, lui demandent d'y renoncer en tant que «fille de résistante, femme de gauche».

La voix plutôt que le décolleté

«C'est important d'aller dans les endroits avec lesquels on a des différences profondes. Il faut toujours aller partout, c'est une lâcheté de ne pas le faire», répond Juliette Gréco. «Le boycott ne sert pas grand-chose, je crois à la parole, à l'échange», ajoute celle dont la mère, qui aidait des résistants pendant la Seconde Guerre mondiale, et la grande soeur ont été déportées.

La «Jolie môme» entend donc continuer à faire ce qu'elle veut et juge «utile et beau»: sa seule ligne de conduite aujourd'hui comme dans l'après-guerre, une époque où ses pantalons et son indépendance d'esprit en faisaient l'une des figures du Saint-Germain-des-Prés intellectuel et littéraire de Boris Vian, Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir.

Un caractère indépendant qui commence par cette tenue de scène à laquelle elle est toujours restée fidèle, une robe noire aux manches longues ne laissant dans la lumière qu'un visage sans rouge à lèvres et des mains gracieuses: «Les gens ont dû se demander pendant des années si j'avais vraiment des jambes et des seins», sourit-elle. «Mais ce qui était important, c'était ce que je disais et pas mon décolleté. Et puis j'étais terrorisée, je n'avais qu'une envie, c'était de cacher le maximum...»

Pour la pousser sur scène, la toute première fois en juin 1949, il avait d'ailleurs fallu toute la force de persuasion de Jean-Paul Sartre, qui lui avait demandé de sélectionner trois poésies pour en faire des chansons: «Je n'avais jamais chanté de ma vie et ça s'est décidé en dix jours». Ce soir-là, l'aspirante comédienne fait sa mue avec Si tu t'imagines de Raymond Queneau, L'éternel féminin de Jules Laforgue et La rue des Blancs-Manteaux de Sartre, textes mis en musique par Joseph Kosma.

Histoire de boucler la boucle, Gréco compte d'ailleurs bien reprendre Si tu t'imagines lors de cette ultime tournée. Un dernier tour de piste qu'elle aborde avec la même «niaque» qu'à ses débuts. Mais «chanter sur scène, c'est quand même sportif», précise celle qui, après la fin des concerts, ne dirait toutefois pas non à une pièce de théâtre pour peu qu'elle «puisse la jouer tranquillement».