Demain au National, Pierre Flynn va lancer le quatrième disque de chansons originales de sa carrière solo. Le dernier, Mirador, remonte au tout début du millénaire (2001) et est arrivé 10 ans après le précédent, Jardins de Babylone. Pierre Flynn marche à son propre rythme.

«J'ai une relation complexe avec le temps», sourit l'auteur-compositeur-interprète de 60 ans qui, malgré ces longs intermèdes, ne parle jamais de retour sauf pour se déclarer «dans un éternel "comeback"». «Je n'ai jamais arrêté de composer ou de chanter. Pour plein de raisons que je ne m'explique pas, ce disque-là arrive 14 ans après l'autre, c'est tout.»

Ce disque-là s'intitule Sur la terre, territoire de bonheur et de souffrance dont Pierre Flynn s'est imaginé le dernier survivant, après s'être retrouvé fin seul au pied de la montagne d'Owl's Head, un matin d'automne: «Il serait arrivé quelque chose/Bombe atomique? jugement dernier?»

«Certains voyaient dans Le dernier homme la chanson-titre du disque, mais je trouvais que ça faisait un peu péteux de broue...» Cet homme-là est tout sauf prétentieux.

Le temps... Comment a changé la façon de faire un disque depuis le tournant du siècle? «Aujourd'hui, chacun peut apporter le projet chez lui et y travailler», dira l'artiste dont le premier enregistrement remonte à 1973 alors qu'il était la figure de proue du groupe Octobre. Et que le logiciel audionumérique Pro Tools n'existait pas encore.

Bien entouré

Sur la terre a commencé avec Louis-Jean Cormier à la réalisation, mais, «quand il a compris que ça ne prendrait pas deux semaines et demie», l'ancien leader de Karkwa a décidé de se retirer.

Après quelques semaines de réflexion, Pierre Flynn le «control freak» perfectionniste a fait le saut dans la collégialité en s'adjoignant les services d'Éric Goulet, oreille de «l'essentiel», et de Philippe Brault dont les collaborations à succès ne se comptent plus: de Pierre Lapointe à Dear Criminals, de Salomé Leclerc et Émile Proulx-Cloutier à Random Recipe.

Pour l'accompagner, Flynn s'est d'abord tourné vers le bassiste Mario Légaré, son vieux comparse d'Octobre, qui s'est séparé en 1982: «Mario a toujours un groove très actuel.» Marc-André Larocque à la batterie, Cormier à la guitare, Goulet aux claviers, à la guitare et aux choeurs, Pierre Flynn reconnaît sa chance d'être entouré d'une équipe de tout premier niveau. Et s'en étonne presque...

«Moins nuageux qu'avant»

Et l'homme Flynn, dans tout ça, comment a-t-il changé depuis l'an 2000? La question le fait plonger dans sa «savane intérieure» (Étoile, étoile), les yeux fermés. «Je ne suis pas très habile dans l'auto-analyse», dit-il enfin, ajoutant tout de suite que sa position de sexagénaire dans un milieu de jeunes n'est rien pour enlever à son anxiété. Il n'en guérira jamais, il le dit, mais il en maîtrise les effets, entre autres par le yoga et un entraînement régulier. Pierre Flynn ne transporte pas une once de graisse: «Je me sens bien dans mes bottines.»

Et cette image de ténébreux, de solitaire angoissé qui ne sortirait que nuitamment? Pierre Flynn sourit: «Je suis moins nuageux qu'avant. J'ai plus de fun à chanter», admettra-t-il encore, évoquant le plaisir qu'il a eu à participer à des collectifs comme cet hommage à Jacques Brel (Ne me quitte pas) et, surtout, ces 12 hommes rapaillés, hommage à Gaston Miron dont Gilles Bélanger a mis les poèmes en musique et les a fait voyager à travers le Québec.

«Les spectacles avec l'OSM, à la fin, ont marqué tout le monde. Avec les 12 hommes éparpillés parmi les musiciens, des gens pas du tout habitués à jouer avec des corps étrangers entre leurs chaises. C'était magique!», partage Pierre Flynn.

Même s'il en doute - «Je ne suis pas une grosse attraction» -, dans quelques semaines, Pierre Flynn reviendra Sur la terre avec trois ou quatre musiciens; dans un show «pas trop propre», il ira chanter ses «chroniques de vie» à Gatineau, à Québec et à Chicoutimi. Là, capitaine assis au piano, il évoquera ses territoires à lui, transportant son auditoire du Parc Lahaie du Mile End à Casablanca, de New York à l'Abitibi, berceau de sa mère, une McGovern de la ville minière de Duparquet, «un boomtown sous l'arsenic».

«Je ne suis pas un grand voyageur», dira Pierre Flynn qui n'est pas sorti du Québec depuis une mèche. «Par contre, j'ai la capacité de me mettre dans l'état enchanté de voyageur...»

Il y a eu Sur la route (Le parfum du hasard, 1987). Revoici Pierre Flynn dans Sur la terre, témoin de lui-même comme il l'a toujours été. C'est peut-être là, pour le premier ou le dernier homme, le plus grand des voyages.