La reine du music-hall québécois Muriel Millard, qui a animé les folles soirées de cabaret, est morte dimanche soir à Montréal. Elle aurait eu 92 ans mercredi.

Femme généreuse sur scène comme à la ville, Muriel Millard, que le public avait couronnée comme la reine du music-hall, souhaitait plus que tout être aimée. Et elle n'hésitait pas à y mettre les moyens.Un public plus âgé n'oubliera jamais ses descentes d'escalier comme meneuse de revue dans des robes à paillettes éblouissantes. Le temps d'un spectacle, elle permettait au spectateur d'oublier son quotidien. C'était une entertainer absolument remarquable.

Muriel Millard est née à Montréal le 3 décembre 1922. Son père était surintendant au port de Montréal tandis que sa mère, pour reprendre l'expression consacrée, était reine du foyer. Il y avait beaucoup d'amour dans cette famille de sept enfants. La petite Muriel était une fonceuse. Très jeune, elle a remporté de nombreux concours de chant. Sa carrière était déjà toute tracée.

Avec la troupe de Jean Grimaldi

À peine âgée de 13 ans, elle se retrouve sur les planches du Théâtre National, où règne Rose Ouellette (La Poune), et où elle fait rire le public à gorge déployée avec son premier succès, Y a pas de cerises en Alaska. Par la suite, elle enlève le premier prix aux Jeunes Talents Catelli sur les ondes de CKAC, LE concours de la relève à cette époque. En même temps, elle participe aux radioromans d'Henri Letondal et Henry Deyglun. Elle a notamment joué le rôle de Chourinette dans Vie de famille. Durant la Seconde Guerre mondiale, Muriel Millard part en tournée avec la troupe de Jean Grimaldi. Dans l'équipe, on voit à tout: on coud les costumes, on fait la cuisine, on participe à la vente des programmes, on chante et on danse. De telle sorte que, à 17 ans, Muriel a déjà pas mal de métier dans le corps et une certaine maturité. C'est le moment qu'elle choisit pour se marier avec un danseur, Jean Paul, de qui elle aura deux filles.

Jusqu'à New York

Muriel Millard a de l'ambition. Elle finit par se rendre à Broadway, où elle se produit au cabaret Old Europe et au Latin Quarter. Chez nous, elle est un peu l'équivalent d'une Mistinguett ou d'une Joséphine Baker. À l'Esquire Show Bar, elle monte un bouquet musical inspiré du film The Jolson Story, qui sera très apprécié du public. Deux ans après avoir été consacrée Miss Radio, en 1950, elle part en Corée pour divertir nos soldats cantonnés là-bas. Son temps se partagera à la même période entre les cabarets et les plateaux de télévision. En 1960 et 1961, elle remporte le trophée de la meilleure chanteuse populaire au Gala de la radio-télévision.

«Il y a beaucoup de chance dans ma réussite, mais surtout beaucoup de travail. Pour faire du spectacle, il faut aimer la misère et même en redemander, a-t-elle déjà déclaré. Quand on veut vraiment quelque chose, on prend le temps qu'il faut pour réussir. Le travail devient alors un loisir. Et puis la misère, ça donne de l'expérience. C'est ce qui nous aide à aller toujours plus loin.»

Après ses premières prestations au petit écran, elle héritera du surnom de reine du music-hall. En 1955, elle prend la barre de l'émission radiophonique vedette L'heure du Coke à l'antenne de CKVL. Elle compose à l'occasion, notamment La chanson du Québec, qui sera primée dans un concours sur la création d'un hymne national.

Sa popularité est au zénith. Encouragée, elle monte des revues coûteuses dont les budgets pouvaient atteindre les cinq chiffres. On n'avait jamais vu pareil déploiement de paillettes, de plumes et de strass. En 1966, elle joue dans Gai, gai la belle province, revue qui comprend un ballet inspiré de la chanson Jack Monoloy, de Gilles Vigneault. Aussi, elle fait merveille dans La quincaillère de Chicago au Théâtre Saint-Denis.

En 1967, à l'occasion de l'Exposition universelle Terre des hommes, elle crée la revue Vive la Canadienne, qui sera suivie l'année d'après par Avec la femme, toujours à Terre des hommes. La rentabilité n'était pas toujours au rendez-vous, car la fréquentation des cabarets était en déclin.

De la scène à la peinture

L'année 1970 marque un tournant. Muriel Millard décide de ranger ses robes scintillantes et de s'installer en Floride durant les mois d'hiver. Elle s'adonne à la peinture. Qui n'a pas entendu parler de ses célèbres clowns? Un thème qui, à tort, relèguera dans l'ombre les autres toiles plus inspirées.

Mais comment expliquer ce changement de vocation? «Mon époux était très malade, et puis je n'avais plus la possibilité de faire des spectacles de qualité. Je suis perfectionniste et très exigeante. Plutôt que de rester au théâtre et faire moins bien, j'ai décidé de faire mieux ailleurs. Ç'a été dur de m'arracher au théâtre. J'en ai eu pour deux ans à m'en remettre.»

Muriel Millard a reçu la reconnaissance ultime de son talent lors de l'hommage qui lui a été rendu à l'occasion de son intronisation au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens. C'était en 2007. De leur côté, les artistes qui ont eu à travailler avec elle n'oublieront jamais les gestes de générosité qu'elle a eus pour eux dans les moments difficiles.

C'est une artiste au grand coeur qui vient de disparaître.