«C'est l'Himalaya pour moi», dit Serge Fiori de son premier album de chansons en 28 ans. Et s'il a très hâte que son public s'approprie enfin ce disque, l'esprit d'Harmonium sait trop bien que ce «grand cadeau» qu'il a eu n'offre aucune garantie d'un retour sur scène. Conversation avec un être profondément musical.

Serge Fiori n'a pas l'habitude de réécouter ses anciens albums, pas plus ceux d'Harmonium que les autres. Mais son tout nouveau disque, qu'avaient cessé d'espérer les plus jovialistes de ses fans, il l'écoute en boucle, comptant les jours qui le séparent de sa sortie, le 4 mars, jour de son 62e anniversaire.

Fiori-le-mystérieux n'a pas été tout à fait inactif au cours des dernières années. Assis dans la cuisine de sa maison de Longueuil, il m'annonce que le coffret de six DVD sur l'histoire d'Harmonium qui devait être lancé il y a quelques années se résumera finalement à un spectacle inédit «écoeurant» de L'heptade donné à l'Outremont le jour de ses 25 ans. Et il me raconte comment l'ambitieux projet de «comédie musicale 3D» à partir de L'heptade auquel il a travaillé avec Robert Lepage puis Dominic Champagne a avorté: «J'aurais tripé s'ils avaient fait un show à leur image, mais ça revenait toujours à: «Tant qu'à faire ça, pourquoi tu remontes pas sur scène?»»

Il y a également eu, l'automne dernier, le lancement de sa biographie signée Louise Thériault dans laquelle le musicien affirme que sa hantise de la scène est liée directement à un problème de neurotransmetteurs qui s'est déclaré 10 ans après un bad trip d'acide au cégep.

Surtout, il y a l'album Serge Fiori, lancé mardi, un disque qui, dès la première écoute, nous rappelle à quel point Fiori, sa voix et son son si particuliers nous ont manqué.

Il a fallu attendre 28 ans pour que Serge Fiori retrouve l'inspiration, pour que «la petite cloche sonne». «C'est vraiment bizarre, m'explique-t-il. Je ne sais pas comment dire ça parce qu'il y a comme un manque d'humilité là-dedans, mais j'ai reconnu dans cet album le même processus que pendant les trois albums d'Harmonium et le Fiori-Séguin. Je suis possédé.»

Le bon poste

Tout a commencé par une chanson pour son défunt père, Laisse-moi partir. «Je me suis assis sur le balcon un jour d'été, j'ai commencé à gratter ma six-cordes, et les deux couplets sont arrivés, plus un mantra qui n'avait pas d'affaire là. Il était en train de se passer ce qui ne se passait pas depuis 20 ans et quelque. Pour une raison ou une autre, je venais de pogner le bon poste. J'ai fait la base de 10 tounes, une par jour, plogué sur ce poste-là.»

Fiori a d'abord enregistré les maquettes avec l'ex-claviériste d'Harmonium Serge Locat, puis il a envoyé ses chansons une à une au réalisateur Marc Pérusse, que lui avait recommandé son producteur Pierre Lachance. «Marc découvrait l'album comme ça, chanson par chanson. C'était un peu mon public cible», dit Fiori en pouffant de rire.

Quand il est entré en studio, Fiori avait neuf chansons, mais tout le monde attendait la dixième (Si bien), qui tardait à se manifester. «J'étais incapable de la faire, raconte Fiori. Il fallait que ça finisse avec quelque chose d'extrêmement enveloppant où je prends le Québec dans mes bras... Mais crisse que j'avais peur. Je suis complètement nu, j'ai une piste de piano et je sais que la seule valeur de cette toune-là va être le vocal, le texte. Quand j'ai réussi, l'album a pris tout son sens.»

Depuis que l'affaire est bouclée, Fiori se dit sous le choc. «C'est vraiment du sevrage, comme sur l'héroïne. Je retombe dans un mode de vie où je vais préparer je ne sais pas de quelle façon la prochaine inspiration. Je suis esclave de ça.»

Le mythe d'Harmonium

Si l'épilogue de la chanson Si bien, avec ses cordes, rappelle L'heptade, le premier extrait, Le monde est virtuel, avec ses guitares acoustiques, la voix aérienne de Fiori et le mellotron qui surgit à la fin du deuxième couplet, est un gros clin d'oeil à l'album précédent d'Harmonium, Si on avait besoin d'une cinquième saison. Un clin d'oeil qu'il s'est permis grâce à la complicité de Pérusse-le-fan - «une grande rencontre», dit Fiori -, qui l'a incité à ne pas s'autocensurer.

«On se demandait quoi faire avec cette chanson et, à un moment donné, on est allés dans le char, Hélène [sa blonde] et moi, on a mis la maquette, puis j'ai sorti Les cinq saisons que j'ai mis dans le tapis. Tout de suite, ça a fait clic et j'ai appelé Marc.»

Cet album dont Fiori est si fier ne le libère pas pour autant du mythe d'Harmonium, lourd à porter sur ses frêles épaules. À titre d'exemple, il me raconte les séances de dédicace de sa biographie au salon du livre de Sherbrooke, où des fans venaient voir leur gourou et lui apportaient leurs médicaments.

Ce nouveau disque, il l'aime tellement qu'il voudrait en jouer les chansons avec ses musiciens et que ce soit filmé pour un DVD.

Devant public? «Ça me surprendrait, même si je voudrais qu'il y en ait un. Ou bien je monte sur la scène et je dis carrément au monde que le spectacle s'appelle Pas de garantie, qu'on va le vivre ensemble et que si, à la quatrième toune, le moment arrive, je vais aller dans les coulisses et le band va continuer à jouer pour que je puisse revenir après une petite pilule.

- Tu y penses vraiment?

- J'y pense tout le temps.»