Les artistes appuient plein de causes, belles pour la plupart. Par contre, il est assez rare, dans ce Québec du nous cohésif, en tout cas, de voir un individu se lever, seul, et s'en prendre à un gouvernement, sinon à son chef. Comme l'a fait le chanteur Neil Young cette semaine à Toronto.

«Même une vedette rock dépend partiellement des richesses exploitées grâce au dur labeur de milliers de travailleurs canadiens.»

Voilà la réponse du bureau du premier ministre du Canada à Neil Young qui accuse le gouvernement Harper de ne pas respecter ses ententes avec les nations autochtones, dans les régions des sables bitumineux de l'Alberta dont l'exploitation, selon lui, comporte d'énormes risques sanitaires et environnementaux.

«Mon auto roule au biodiesel et je me suis rendu à Fort McMurray sans utiliser une seule goutte de pétrole», a rétorqué le chanteur originaire de Toronto où a commencé dimanche la portion Honor the Treaties («Respectez les traités») de sa tournée, du nom de l'organisation du même nom (voir honorthetreaties.org).

Les profits de ces quatre concerts iront au fonds de défense de la communauté chipewyan d'Athabasca qui conteste l'agrandissement du territoire d'exploitation de la multinationale Shell.

Adepte depuis des décennies d'une approche chansonnière que certains appellent «éco-spirituelle», Neil Young, de tout temps, s'est présenté comme un chanteur engagé et un militant pour la paix. On lui doit d'abord la chanson Ohio, popularisée par Crosby, Stills, Nash & Young, qu'il a écrite dès après la tuerie de l'Université Kent State, le 4 mai 1970, quand la garde nationale avait ouvert le feu sur des étudiants qui manifestaient contre la guerre du Viêtnam: «Soldiers are gunning us down/Four dead in Ohio».

En 2006, Young a réclamé l'impeachment du président George W. Bush et dénoncé la guerre contre l'Irak avec l'album Living with War.

Attaché à la terre, Young a lancé en 1985 le concert Farm Aid avec Willie Nelson et John Mellencamp. Présenté annuellement depuis - un record de longévité pour ce type d'événements -, Farm Aid a recueilli près de 45 millions de dollars pour venir en aide aux petits fermiers américains en difficulté.

Sur le plan strictement écologique, Neil Young est passé à l'acte depuis longtemps, faisant souvent figure de pionnier.

D'abord, tous ses véhicules de tournée roulent au biodiesel depuis 2006. Deux ans plus tard, il a lancé le projet LincVolt qui consistait à transformer sa Lincoln Continental 1959 (décapotable) en véhicule à propulsion électrique; le prototype a brûlé en 2010 avec l'entrepôt qui l'abritait, mais le chanteur a promis de relancer le projet. Le but ultime: éviter les guerres qui ont pour objectif de contrôler les ressources pétrolières.

Homme de convictions dont le talent autant que l'engagement social ont souvent été reconnus - il est membre de l'Ordre du Canada -, Neil Young pousse parfois la licence artistique dans des zones dangereuses. Comme quand il compare la «dévastation» des sites d'exploitation des sables bitumineux à Hiroshima, ville japonaise détruite par une bombe atomique américaine en 1945 (trois mois, au fait, avant la naissance du chanteur).

Hier soir, avec son «invitée spéciale» Diana Krall, la tournée Honor the Treaties était à Winnipeg avec ce spectacle qui commence par le visionnement d'une version écourtée du film Petropolis, produit sous les auspices de Greenpeace Canada et mis en ligne cette semaine (vimeo.com/84170239).

Ce soir, Neil Young s'arrête à Regina où le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, l'a accusé lundi d'«insensibilité» et d'«ignorance» à la suite de ses remarques sur Hiroshima.

Honor the Treaties se termine dimanche à Calgary, dans un théâtre de 1800 places où les billets se vendaient 253$. On sait déjà que la première ministre albertaine Alison Redford n'a pas eu le temps de s'en procurer...

«Les rock stars qui se promènent en avion, a déclaré Mme Redford en décembre, ont peu de crédibilité quand elles se permettent de critiquer les politiques pétrolières.»

Quoi qu'il en soit, pour une courte semaine, Neil Young aura ramené l'attention des Canadiens sur l'importante question de l'impact environnemental de l'exploitation des ressources énergétiques. Disons que ça nous change des élucubrations du maire de Toronto et de nos propres chicaneries sur le tchador. Et que ça peut nous resituer dans nos discussions éco-signifiantes sur ce qu'un petit comique pourrait appeler les gaz «à effet de schisme».

Il y a des pour et des contre, mais comme le chantait Neil Young dans le temps, «rock and roll is here to stay». Vu avec le recul «éco-spirituel», ça nous fait dire que la musique tout entière va survivre au moteur à explosion.

Voilà la bonne nouvelle de la semaine.