Six ans après L'invitation, le chanteur français Étienne Daho publie lundi Les chansons de l'innocence retrouvée, un album littéraire et cinématographique, riche et touchant, qui «parle des autres, de ceux qui ont perdu», confie-t-il à l'AFP.

Q : Comment allez-vous après la péritonite dont vous avez été opéré cet été?

R : Je vais très bien, beaucoup mieux. J'ai repris du poil de la bête, mais c'était vraiment très grave. Du coup, c'était beaucoup plus prudent de reporter la tournée (à l'automne 2014, NDLR). Je ne suis pas encore «réparé».

Q : Comment s'est passé l'enregistrement?

R : J'étais arrivé à un moment de mon existence où j'avais l'impression d'être juste dans chaque secteur de ma vie : ma vie professionnelle, ma vie amoureuse, ma vie amicale, ma place au milieu du monde. Tout me paraissait complètement parfait, pour une fois. J'en ai profité.

Q : Le disque est truffé de références à Camus, Bacon, William Blake, Giacometti...

R : Il y a un lien direct entre le fait d'aimer des artistes et de les retrouver. Camus par exemple est un auteur vraiment important parce qu'il est Oranais comme moi et parle de ce pays d'une manière qui me parle. Quand il évoque un climat, je le ressens, je sais ce que c'est. Au moment où j'ai commencé à écrire pour l'album, j'allais beaucoup à Rome, et j'ai vu un une adaptation de L'Étranger par Visconti que je ne connaissais pas. Je pense que ça a été la première petite clé de l'album.

Q : Pourquoi avoir commencé par Rome?

R : C'était un fantasme. Chaque fois que j'y étais allé, c'était comme un touriste, très vite. J'ai passé un an à Lisbonne, presque un an aussi à Barcelone et beaucoup de temps aussi à Ibiza, mais la plupart du temps j'aime bien aller vers le nord. J'adore Londres par exemple, depuis que je suis ado, je suis fou de cette ville. Là, j'avais envie de recommencer avec une ville latine. On se fait toujours une idée de ce que son prochain disque va être et je voulais que ce soit un album disco et un peu latin. Il n'y a rien du tout de ça au finish.

Q : Du coup, vous êtes parti à Londres.

R : Oui. J'ai trouvé une garçonnière, j'ai ouvert la porte et j'ai vu Songs of innocence (Chants d'innocence, recueil de poèmes de William Blake) dans l'édition que j'avais quand j'étais petit, que j'avais achetée à Londres d'ailleurs. Je trouvais que c'était un signe.

Q : Pourquoi avoir ajouté le mot «retrouvée»?

R : On se construit avec toutes nos chaînes et on s'en accommode. J'avais envie de couper certaines choses, des projections qu'on a sur moi, les inquiétudes des autres par rapport à moi, leurs peurs. Ce titre, c'est «deviens toi-même» ou «redeviens toi».

C'est un album pour les autres, qui regarde les autres. Il parle de tous les "outkasts", de gens qui ont souffert, qui ont du mal, qui ont perdu, en fait. J'avais envie d'être cette voix-là. Avec L''invitation, je crois que je suis allé au bout de ce que j'avais à dire sur moi. Pour l'instant.

Q : Comment vivez-vous le fait d'être désormais cité comme modèle par une jeune génération d'artistes?

R : C'est génial. C'est tellement mignon, tellement inattendu. Je me suis retrouvé dans une situation comme ça quand j'ai commencé. À l'époque, je retrouvais Françoise Hardy et Jacques Dutronc, Jane Birkin et Gainsbourg. Je suis très vite devenu assez proche, en tout cas ils m'ont donné la sensation que j'étais proche, qu'ils m'acceptaient dans leur famille. Je me souviens d'avoir passé un Noël chez Françoise et Jacques et un nombre incalculable d'après-midi et de soirées chez Gainsbourg. C'était important pour moi, comme un adoubement.