Chaque nuit, le couvre-feu s'abat sur le Caire de 23 heures à six heures mais quand Hind et son groupe de musique populaire égyptienne commencent à chanter, ils ne s'arrêtent plus pendant sept heures.

Dans la capitale de l'Égypte, phare culturel du monde arabe et berceau de ses plus grandes voix, l'état d'urgence et le couvre-feu en vigueur depuis la dispersion sanglante de rassemblements islamistes le 14 août n'auront pas eu raison des soirées musicales.

Au Caire, le centre culturel «Makan», le lieu en arabe, porte bien son nom: en ces temps de couvre-feu nocturne, c'est bien le lieu où il faut être quand à 23 heures, Hind lance de sa voix douce son tour de chant qui ne finira qu'à six heures le lendemain.

Le projet, baptisé «la musique du couvre-feu», est «né du sentiment des musiciens qui travaillent habituellement la nuit et sentaient que le couvre-feu s'abattait sur ce qu'ils aimaient le plus», explique Ahmed el-Maghraby.

«Du coup, on a décidé d'en tirer profit», lance celui qui dirige le «Makan». «Dès que commence le couvre-feu, nous nous enfermons et nous écoutons notre musique pendant des heures avant de fermer le Makan à la fin du couvre-feu».

Percussions et tambourins arabes

Et au «Makan», le décor à lui seul recrée l'ambiance des soirées musicales traditionnelles arabes: dans une cave au mur jauni, le sol est recouvert de tapis rouges sur lesquels trônent des chaises en bois rouges et noires disposées en cercle, tandis qu'au mur sont accrochées des radios à la couleur passée.

Au-dessus, un escalier de bois mène à une petite pièce, sur laquelle trônent des instruments anciens et des coffres en bois.

En contrebas, Hind, lève sa main gauche en entonnant un chant puissant, yeux fermés, toute à sa musique, devant une dizaine d'auditeurs recueillis.

Derrière elle, trois musiciennes sont aux percussions, maniant avec dextérité les tambourins arabes traditionnels.

À côté, sept musiciens, dont un guitariste, un joueur de luth, un saxophoniste et des joueurs de flûtes traditionnelles égyptiennes lancent la mélodie.

«C'est bien mieux d'être ici qu'enfermés dans nos maisons sans rien pouvoir faire. Ici on peut libérer toutes les énergies que nous retenons à l'intérieur», explique Amine Chahine, 30 ans, l'un des flûtistes.

Becky, la Nigériane

Dans le public, Gina Moqbel, 31 ans, assure que «le couvre-feu a mis nos vies sens dessus dessous, car nous étions habitués à veiller tard depuis de longues années». Et c'est pour conserver cette tradition qu'elle est venue au «Makan» ce soir.

À côté d'elle, son amie Becky Harett, Nigériane installée au Caire depuis six ans, jure qu'elle restera «jusqu'à six heures du matin» car «l'excitation» du moment la tient éveillée.

Après trois heures de musique, un petit entracte est annoncé et chacun se restaure avec des falafels et des fèves, plats de base de la cuisine égyptienne, avant que les musiciens ne remontent en scène.

S'ensuivent trois pièces musicales, où Hind n'intervient que rarement laissant place à une envoûtante musique au cours de laquelle s'enflamme un à un les musiciens, laissant libre cours aux ornementations autour de thèmes traditionnels.

À plus de trois heures du matin, les musiciens se reposent enfin et l'un des murs s'éclaire: après le concert, projection de «Baraka», un film sans dialogue compilant des images de paysages et de sites parmi les plus reculés du monde.

Après cette parenthèse culturelle dans la ville endormie, à six heures, chacun se salue avant de retrouver les rues, de nouveau bruyantes et grouillantes de monde dans la capitale du plus peuplé des pays arabes.