Dylan l'a encensé. Budweiser l'a engagé pour une pub. Il a chanté régulièrement à Saturday Night Live... Chanteur culte, Leon Redbone reste pourtant un des personnages les plus énigmatiques du folk-blues américain. Il est de passage à Montréal ce soir, pour une très rare visite.

Énigmatique Leon Redbone. Quarante ans de carrière et on ne sait toujours pas son vrai nom. Ni ses origines. Ni sa date de naissance. Ni où il vit.

Lui-même d'ailleurs, ne semble trop savoir. Quand on lui demande d'où il nous appelle, le chanteur répond par un vague «Oh... quelque part en Pennsylvanie».

Quand on lui demande où il habite, il répond «partout et nulle part, je suis un nomade.»

Est-il vraiment né à Chypre, sous le nom de Dickran Gobalian? «Si ça vous amuse de le penser», dit-il, de son inimitable voix de crooner, qu'on a souvent comparée à celle de Paolo Conte.

Fidèle à son aura de mystère, M. Redbone n'a décidément pas l'intention de concéder un pouce sur sa vie privée. Mais quand il est question de musique, c'est une autre histoire. Lancez-le sur le jazz et le blues des années 20 et il s'ouvre comme la caverne d'Ali Baba.

Pour le chanteur (qui se produit ce soir à Montréal, une première en 30 ans, dit la rumeur), la chose est entendue depuis longtemps: les meilleures chansons du monde ont été écrites à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. C'est pourquoi il s'entête depuis 40 ans à revaloriser ce patrimoine américain oublié.

«Les chansons des années 20 avaient tout ce qu'il faut, souligne M. Redbone. La forme, la substance, les émotions... Tout ce qui s'est fait après reposait essentiellement sur le volume ou l'électronique. Je n'ai rien contre les Beatles, ils avaient de belles mélodies. Mais leurs innovations dépendaient plus de la technique que des sentiments. C'est pour ça qu'ils ne m'ont jamais intéressé autant que les chanteurs de jazz et de blues des années 20.»

Pour le chanteur, la chose est entendue depuis longtemps: les meilleures chansons du monde ont été écrites à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. C'est pourquoi il s'entête depuis 40 ans à revaloriser ce patrimoine américain oublié.

Se décrivant lui-même comme quelqu'un de «têtu», M. Redbone n'a jamais dévié de cette trajectoire.

Dès le milieu des années 70, il se faisait déjà remarquer par ses reprises de Fats Waller, Blind Lemon Jefferson ou Jelly Roll Morton. Le personnage intriguait tout autant, avec sa moustache, ses verres fumés et son éternel panama, qui accentuaient son côté excentrique et anachronique. En 1974, Bob Dylan a fait son apologie dans un article du Rolling Stone, ce qui a littéralement lancé sa carrière. Il a depuis enregistré une quinzaine d'albums et compte sur une base de fans fidèles, allant de Tom Waits à Bonnie Raitt.

Télévision

En plus de rouler sa bosse d'un concert à l'autre, Leon Redbone est aussi apparu régulièrement à Saturday Night Live, ainsi qu'à l'émission pour enfants Between the Lions sur les ondes de PBS, sans compter ses participations à diverses trames sonores, du sitcom Mr Belvedere au film Elf. Comme si ce n'était pas assez, il a aussi chanté dans plusieurs publicités pour la télé, incluant Budweiser («This Bud's for you»), Chevrolet et la nourriture pour chiens Ken-L Ration!

L'industrie en aversion

Insaisissable, vous dites? Malgré un certain succès, le chanteur n'a jamais caché son aversion pour l'industrie de la musique, ni pour les événements médiatiques, qu'il fuit comme la peste.

«Disons que je ne suis pas du type grégaire», admet-il, en se décrivant plutôt comme un «dépressif avec le sens de l'humour.»

Ce côté misanthrope a sans doute contribué à son mythe de personnage reclus et mystérieux. Mais il est vrai que ce grand nostalgique préférera toujours la compagnie de ses vieux 78 tours à n'importe quelle soirée mondaine. Pour lui, pas besoin de plus pour capter l'essence de l'âme humaine.

«Il n'y a personne qui s'intéresse à ce genre de musique, sauf moi et peut-être trois autres personnes, conclut-il. C'est dommage, quand on oublie le passé, on ne sait plus rien.»

Leon Redbone, avec le pianiste Paul Asaro, ce soir 20h à la Sala Rossa