Ya Rayah, ze tube du célébrissime Rachid Taha, est en fait la reprise d'un classique créé jadis par Dahmane El Harrachi, grand artiste du chaâbi algérien. Son fils Kamel était âgé de sept ans lorsqu'il mourut tragiquement dans un accident de la route, soit en 1980. Comme les autres membres de sa famille, le bambin était destiné à une carrière dans la musique... qui le conduit actuellement à rendre hommage au regretté paternel.

Pour la première fois à Montréal, ce spectacle jette un éclairage majeur sur ce monument.

Renommé au-delà du Maghreb et du monde arabe?  Joint en Europe avant de faire la grande traversée, le fils assure que oui. Surtout en France, où il vit lui-même depuis une vingtaine d'années et où Dahmane El Harrachi a aussi fait carrière. «Lorsqu'il a aimé cette chanson popularisée par Rachid Taha, le public a voulu découvrir son créateur : mon père est aujourd'hui reconnu comme l'un des plus grands artistes du monde arabe moderne. J'ai parcouru pratiquement la moitié de la planète avec ce spectacle en son hommage,  spectacle qui a suivi la sortie de l'album Ghana Fenou il y a trois ans», indique-t-il fièrement.

Héritage familial parfaitement assumé par Kamel El Harrachi, lui-même auteur, compositeur et interprète.

«Ce n'est pas toujours évident d'être le fils d'un grand chanteur ou d'un grand artiste. Plusieurs vivent  la même situation, d'ailleurs. Personnellement, ça ne me pose pas problème... Je sais bien sûr qu'il me faut être bon, pas juste fils de. On me juge par rapport à mes qualités réelles. J'arrive à gérer ça car j'ai toujours baigné dans cette musique; j'ai commencé à faire de la musique dès l'enfance. Plus jeune, j'ai ressenti de la pression mais j'ai pu relativiser avec l'âge. Je me suis libéré de cette pression en observant un nombre croissant de fans capables de faire la différence entre père et fils.»

Inutile d'ajouter que Kamel interprète à sa façon les chansons de Dahmane.

«Je le fais avec avec des arrangements d'aujourd'hui, avec du son d'aujourd'hui, avec une touche personnelle et une instrumentation renforcée - par la contrebasse et le piano, ou même des congas qui s'ajoutent à la darbouka et autres percussions typiques de la musique algérienne. En fait, je rénove tout en gardant le cachet du genre, j'essaie de faire évoluer ce beau style de chaâbi que je considère comme le blues de ma culture.»

Le chaâbi, qui signifie populaire, tire ses origines dans la musique arabo-andalouse à laquelle on a progressivement greffé moult variantes de folklores arabe, africain, gnawa et berbère. Au fil des décennies, le genre s'est modernisé. Au milieu du 20e siècle, on y a notamment introduit le banjo et le mandole, sorte de grosse mandoline inventée naguère par un luthier algérois.

«Le texte y est très important, soulève en outre Kamel. Un chanteur chaâbi ne peut vraiment pas dire n'importe quoi, son message doit être transmis avec modération. Il peut toucher à tous les sujets, mais avec une finesse qui se fonde sur les jeux de mots. Il n'a pas droit à l'erreur! Encore aujourd'hui le chaâbi exprime subtilement  ce que vivent les gens ordinaires,  il décrit leur quotidien et leurs aspirations. Et c'est pourquoi ce style ne risque pas de disparaître.»

Peut-on alors parler d'une relève importante ?

«Il existe une relève chaabi, répond Kamel mais... dans le style de mon papa, je n'ai pas entendu un artiste de ce niveau. Il fut un artiste complet, il a beaucoup donné à la culture algérienne. Ce n'est pas parce qu'il est mon père que je le dis!»

Dans le cadre du Festival du Monde Arabe, l'hommage à Dahmane El Harrachi par son fils Kamel est présenté ce vendredi, 20h, au Théâtre Maisonneuve