On lui doit un des disques les plus importants du prog québécois. Mais Franck Dervieux est mort trop tôt pour le savoir...

C'était un formidable pianiste, mais une vraie tête de cochon. Jean-Pierre Ferland le considère encore comme son meilleur ami et c'est grâce à lui qu'est né le groupe Contraction. Français d'origine, Franck Dervieux a laissé une empreinte durable sur l'histoire de la chanson québécoise. Mais sa mort prématurée l'avait complètement relégué aux oubliettes.

C'est maintenant chose du passé. L'étiquette ProgQuébec vient de rééditer Dimension M, seul disque de Dervieux, lancé en 1971. Un événement pour qui s'intéresse à notre patrimoine discographique. Car Dimension M reste, 40 ans après sa sortie, l'une des oeuvres les plus singulières du rock progressif québécois, par son alliage très personnel de classique, de jazz rock, d'avant-garde et de psychédélisme.

«Avec L'Infonie, pour moi, ç'a été le premier disque concept de l'histoire du Québec», avance Yves Laferrière, ancien bassiste de Dervieux et fondateur de Contraction.

Qui aurait pu s'attendre à un tel ovni musical? Venu au Québec en 1967, ce premier prix de conservatoire était associé au milieu des chansonniers. En France, il avait accompagné le chanteur Philippe Clay et le comique Fernand Raynaud, avant de rejoindre Ferland, qui cherchait un pianiste pour sa tournée québécoise. « Quand je lui ai demandé: «Es-tu bon?» Il m'a répondu : «Je suis le meilleur!», raconte Ferland. Il était prétentieux, mais il avait raison!»

Regret

Le chanteur n'a jamais regretté son choix. Dervieux n'est pas seulement devenu son pianiste, mais aussi un ami. « Le plus grand que j'ai jamais eu «, insiste-t-il, avec une pointe d'émotion.

Regret, en revanche, de l'avoir laissé tomber pour l'enregistrement de l'album Jaune en 1970, après trois ans d'étroite collaboration. Raison officielle: le producteur André Perry voulait des musiciens américains et Dervieux ne parlait pas anglais. Raison officieuse : Dervieux venait de l'école européenne et n'avait pas la souplesse du rock. « Je me suis senti comme un écoeurant «, raconte le chanteur, qui admet avoir ce jour-là «gagné la musique mais perdu l'amitié».

C'est pour venger cet affront, croit Ferland, que Dervieux a enregistré Dimension M. « Ç'a été sa façon à lui de nous dire : André Perry a eu tort, vous auriez dû me faire confiance. «

Accompagné des futurs membres de Contraction (incluant Laferrière et la chanteuse Christiane Robichaud), le pianiste signe en effet un disque prog-rock de calibre international, qui n'a rien à envier à Zappa, The Nice, King Crimson et autres pointures de l'époque. « Quand on a entendu ses compos, on est tombés sur le cul. Il ne fumait pas, mais il était aussi stone que nous! On sent des influences, mais il y a des trucs là-dessus que seulement lui pouvait faire «, raconte Yves Laferrière.

Avant-gardiste, ésotérique et essentiellement instrumental, Dimension M ne connaîtra pourtant qu'un succès d'estime, récoltant au pire un silence poli, au mieux quelques critiques positives. Mais Dervieux avait déjà l'esprit ailleurs. Rattrapé par le cancer qu'il croyait avoir vaincu, le pianiste se retirera vite dans ses terres, avant de mourir en 1975 à l'âge de 43 ans, laissant dans le deuil sa femme Michèle et au moins deux artistes québécois orphelins.

« Il m'a pris sous son aile et donné une direction au reste de ma carrière «, lance Yves Laferrière, qui a toujours considéré Dervieux comme son mentor musical.

« C'est un musicien qui avait du goût, ajoute Jean-Pierre Ferland. Écoute Dans ce pays, qu'on a écrit ensemble. C'est lui qui m'a montré que dans la chanson, le couplet était plus important que le refrain. Avant lui, je n'avais jamais parlé comme ça. Je suis arrivé en retard à ses funérailles. J'ai tellement braillé...»