Peter Brötzmann est l'un des pionniers du jazz contemporain à l'européenne. Derrière la cravate, plus d'un demi-siècle d'improvisation libre. Le saxophoniste et clarinettiste allemand est honoré cette année par le Festival international de musique actuelle de Victoriaville. Pour commémorer ses 70 ans, on lui a réservé deux concerts.

«J'aime les sons. Ceux qui connaissent ma musique ont probablement réalisé que je ne cesse de chercher de nouvelles possibilités. Chaque matin, je réalise que la vie a plusieurs couleurs à offrir. Il me faut en témoigner avec l'âge que j'ai. Ainsi, je prends plaisir à jouer des airs plus proches de la ballade!», explique le saxophoniste, joint dans la région de Cologne où il habite.

Peter Brötzmann refuse ainsi de rester collé à cette image d'improvisateur impétueux, bien que...

«Je dois faire avec la vie mais j'aime encore l'intensité, vous savez! Avec le Tentet, mon ensemble à 10 musiciens, par exemple, je travaille surtout avec des plus jeunes que moi, ce qui me motive à maintenir l'intensité du jeu et à me mesurer. Ça fait partie du plaisir de jouer. J'aime cette dynamique car la musique demeure pour moi une expérience physique. Tant que mon corps et mon cerveau tiendront le coup, ça se poursuivra ainsi.»

Et ça se poursuit ce soir dans les Bois-Francs, avec un trio que Peter Brötzmann forme avec le batteur norvégien Paal Nilssen-Love et le bassiste italien Massimo Pupillo.

«Ce trio, explique-t-il, pourrait aussi être un quartette puisque le trompettiste Toshinori Kondo participe régulièrement à cette configuration. Faute de budget, nous formerons un trio à Victoriaville, ce qui est aussi très bien. J'ai connu Paal Nilssen-Love lorsqu'il avait 18 ans, il y a une quinzaine d'années. Voilà un jeune homme en pleine possession de ses moyens! J'aime jouer avec un batteur d'une telle force. À la basse électrique, Massimo s'inscrit parfaitement dans ce contexte. Il nous a rejoints il y a cinq ou six ans, ce trio a eu le temps de se souder. Nous y faisons l'expérience de différentes dynamiques et couleurs.»

Et que dire du concert solo, présenté demain?

«La musique est un art que j'aime surtout pratiquer avec d'autres êtres humains, mais... le solo demeure pour moi un défi très spécial à relever. On se retrouve seul sur scène devant un auditoire et on doit en maintenir l'intérêt pendant 50 ou 60 minutes. Si on n'arrive pas à garder son monde, impossible de se produire en solo.»

À Montréal, Peter Brötzmann s'amènera quelques semaines plus tard dans le cadre des Suoni per il Popolo. Il s'y produira avec le Full Blast Trio aux côtés de Michael Wertmuller, un batteur suisse installé à Berlin, et Marino Pliakas, un bassiste suisse résidant de Zurich.

«Je connais Michael depuis plus de vingt ans, j'ai travaillé avec lui en duo et aussi en trio avec le contrebassiste William Parker. Depuis six ou sept ans, Michel et moi travaillons en trio avec Marino Pliatas. Vu la personnalité et le style de chacun, ce trio est différent de celui présenté à Victoriaville... mais de même intensité.»

Vieille, l'avant-garde?

Peter Brötzmann a 70 ans... et on l'a si longtemps associé au renouveau de la musique improvisée. L'avant-garde européenne de la musique improvisée se fait-elle vieille? Un peu, il faut l'admettre. Assister à un concert de free jazz six décennies après son émergence, c'est aussi observer un nombre croissant de têtes grises dans les salles. Sauf une minorité de jeunes jazzophiles et d'étudiants en musique, le public des musiques sérieuses prend de l'âge.

Peter Brötzmann en est conscient. Et plus encore.

«Je ne suis pas sûr d'être enchanté de l'état actuel de notre musique improvisée. Bien sûr, je sais qu'il y a un nombre croissant de très bons jeunes musiciens. De manière générale, la musique improvisée se compose d'instrumentistes diplômés qui manifestent de grandes capacités techniques, une connaissance du contrepoint, des gammes et de l'harmonie mais... ils n'ont pas beaucoup à dire. Trop académiques. La musique improvisée s'apprend sur la route et il n'y a malheureusement plus assez de lieux pour tourner et prendre l'expérience nécessaire.

«En Europe, en tout cas, nous avons un besoin urgent de nouvelles salles pour jouer et d'un soutien financier qui ne cesse de décliner. La situation est terrible aux États-Unis comme au Japon. Il reste quelques festivals au Canada... jusqu'à quand? Plusieurs gouvernements ont migré vers la droite au cours des dernières années, c'est très néfaste pour la culture. Les musiciens de ma génération avons dû nous battre pour faire valoir le bien-fondé de notre musique. Alors? Nous devons nous battre de nouveau. Je souhaite que les jeunes musiciens puissent nous appuyer et prendre la relève.»

Peter Brötzmann se produit ce soir, à 20h, et demain, à 13h, au Cinéma Laurier, dans le cadre du Festival international de musique actuelle de Victoriaville.

Pour infos: fimav.qc.ca