Le travail de Carl Fillion sur Die Walküre est terminé depuis près d'un an. Le scénographe attitré des opéras montés par Robert Lepage - et du spectacle Totem du Cirque du Soleil - avait complété l'essentiel de sa tâche l'été dernier à Varennes: le storyboard, la création des mouvements et la programmation de la scénographie des deux premiers opéras, Das Rheingold et Die Walküre. «Quand la production arrive au Met, je suis là, mais j'ai peu d'interventions à faire. De toute façon, c'est la deuxième fois qu'on travaille avec ce décor-là et on connaît mieux son fonctionnement et ses pièges.»

Fillion s'est attaqué à la scénographie du Ring en 2007, mais ce n'est qu'une bonne année plus tard qu'il a eu l'idée de l'énorme machine de 24 pales qui servirait de décor unique aux quatre opéras. «Au départ, Robert et moi avions une préoccupation très importante: le Ring c'est presque 16 heures de musique avec le même dispositif de scène. C'est intéressant conceptuellement, mais c'est aussi un piège énorme sur le plan artistique. Il ne faut pas qu'après deux spectacles, il n'y ait plus d'intérêt pour ce dispositif qui nous permet des centaines de possibilités même si on n'en exploitera que quelques dizaines. Il faut donc se réserver un peu.»

Même scénographie pour Die Walküre que pour Das Rheingold donc, mais on ajoute deux accessoires. «Par contre, les 24 pales et les projections sont utilisées de façon différente. On part de la même base, mais ça donne un spectacle dont l'élément visuel est étonnamment différent.» On utilisera les 24 pales pour simuler le cheval volant de Brünnhilde - «assez spectaculaire», promet Fillion - tandis que dans Götterdämmerung, le quatrième et dernier opéra, on se servira d'un accessoire pour représenter le cheval.

Pendant que l'équipe de Lepage fait les derniers ajustements à Die Walküre, Fillion a terminé la majeure partie de son travail sur les deux derniers opéras de la Tétralogie. «Je suis à peaufiner la toute fin de Götterdämmerung, dit-il. Après les représentations de Die Walküre, la scénographie va revenir à Montréal et, en juin, on va la programmer pour pouvoir commencer les répétitions avec Robert en juillet. Le tout va retourner à New York en septembre. Pour moi, les cartes sont jouées quand la scénographie sort de Varennes; on ne fait plus de correction à la programmation, ou très peu. De toute façon, une fois sur scène, on a très peu de temps de plateau avec le décor et ce n'est plus le temps de changer un truc de programmation. Certains mouvements de la scénographie peuvent impliquer 30 personnes et coordonner ces 30 personnes à la seconde près pendant une transition, c'est complexe. Ça prend beaucoup de temps qu'on n'a pas. Le temps est notre pire ennemi.»

Le soir de la première de chaque opéra, l'équipe de Robert Lepage s'est déjà retirée, passant le flambeau à celle du Metropolitan Opera. Quand le cycle complet des quatre opéras sera présenté au printemps 2012, seuls Lepage et son assistant Neilson Vignola seront invités au Met. «Ils ne veulent pas voir le reste de l'équipe, dit Fillion. Pour eux, c'est une reprise et leurs techniciens prennent le spectacle en main le plus rapidement possible pour se passer des créateurs. C'est normal et ils le font d'une façon extraordinaire.»

Carl Fillion dit de ce Ring que c'est le projet le plus complexe techniquement et artistiquement et le plus osé aussi auquel il se soit attaqué. En a-t-il un autre dans ses cartons? «Pas concrètement», répond-il même si on peut supposer qu'il prépare avec Lepage la production de The Tempest de Thomas Ades pour le même Met. Puis il ajoute: «Normalement, je travaille à trois ou quatre projets en même temps, mais cette fois, j'avais envie de finir le Ring plus calmement.»