Dans les années 60, Bob Dylan s'interrogeait sur la liberté des peuples et contestait la légitimité de la guerre américaine au Vietnam. Dimanche, le chanteur légendaire se produira pour la première fois à Saïgon, devenue Ho Chi Minh-Ville.

Il n'est rien de dire que le contexte a changé depuis qu'avec Joan Baez et quelques autres hérauts de la «protest-song», il s'érigeait en représentant de la contre-culture et réclamait la fin des combats.

Aujourd'hui, cette référence n'est chère qu'à une génération vieillissante d'Occidentaux. Les Vietnamiens de moins de 35 ans, en grande majorité dans ce pays très jeune, n'ont pas connu la guerre et ignorent tout de l'auteur de Masters of War, 70 ans en mai.

«Je ne sais pas qui c'est», avoue ainsi Tran Trung Duc, 21 ans, étudiant en informatique de Hanoï.

Si Dylan a fédéré une génération d'Occidentaux en conflit avec l'autorité, ce débat-là ne se pose pas dans le Vietnam communiste contemporain, où le dernier intellectuel à avoir réclamé le multipartisme vient d'être condamné à sept ans de prison.

Tous les spectateurs de Dylan, dimanche, ne regarderont donc pas la même icône. Les Vietnamiens «n'ont aucun lien politique avec la période pendant laquelle Bob Dylan est devenu célèbre», estime ainsi Chuck Searcy, un vétéran de la guerre installé au Vietnam depuis 1995.

Le musicien à la voix nasillarde et à l'émotion sobre se produira dans une ville très occidentalisée, une ruche dopée par une croissance économique à deux chiffres, au coeur du continent le plus dynamique de la planète où la paix s'est enfin imposée.

La tournée qui célèbre le 50e anniversaire de son premier concert, le 11 avril 1961, l'a déjà emmené à Pékin mercredi, puis Shanghai.

Mais dans la capitale chinoise, Dylan s'est abstenu de chanter ses titres les plus évocateurs, dont le célèbre The Times They Are A-Changin.

Ou le mythique Blowin' in the Wind (dont les paroles «Et combien d'années un peuple peut-il vivre, Avant d'être autorisé à être libre?»).

Une porte-parole vietnamienne des Affaires étrangères a indiqué ne pouvoir confirmer si son répertoire de dimanche passerait sous les fourches caudines de la censure.

Mais Chuck Searcy est convaincu que sa présence ne peut que contribuer à l'ouverture du pays. «Ça rentre dans le cadre d'un processus de réveil et de dialogue sur le plan international, que les Vietnamiens soutiennent et encouragent énormément», estime-t-il.

Le concert de l'Américain succède à celui de «Backstreet Boys», un «boys band» des années 90 qui a attiré jusqu'à 30 000 personnes. Contre les 8000 attendus pour Dylan.

«Le Vietnam n'a pas été gâté en terme de musique internationale depuis longtemps», admet Rod Quinton, patron de Saigon Sound System, organisateurs du concert.

De fait, la presse officielle ne s'est guère faite l'écho de la venue du chanteur, lui préférant la commémoration de la mort de Trinh Cong Son, connu comme le «Dylan vietnamien» pour ses hymnes à la paix et son refus de choisir son camp avant 1975.

À l'inverse de l'Américain, le poète touche jeunes et vieilles générations. «Trinh Con Son est un génie», affirme ainsi sans détour Phan Quoc Nam, un musicien de 35 ans. «Comprendre ses chansons est assez difficile. Les paroles sont profondément subtiles et romantiques».

Des chanteurs vietnamiens en chanteront quelques unes dimanche, en ouverture du concert.