Comment une formation à géométrie variable peut-elle maintenir la variabilité de sa géométrie? Comment une formation associée au rock indie peut-elle maintenir l'intérêt à son endroit pendant plus d'une décennie? Comment une formation de multi-instrumentistes peut-elle maintenir sa facture multi-genres? Comment une formation torontoise peut-elle susciter autant d'enthousiasme auprès du public montréalais?

Le Forgiveness Rock Record répond à toutes ces questions. Sous étiquette Arts & Crafts, ou encore sur une scène près de chez vous. Quiconque connaît cette tribu flamboyante vous le dira, chaque concert donné par le groupe torontois est un événement en soi. À Montréal, en tout cas, on se souvient de soirées magistrales. À la présence de Leslie Feist, pour citer un exemple probant. Broken Social Scene a déjà rassemblé près d'une vingtaine de collaborateurs sur scène, les électrons libres se rapprochent régulièrement du noyau. En 2010, ce noyau est constitué de huit musiciens auxquels se joignent ce soir deux Montréalais de la constellation BSS; le tromboniste Evan Cranley et la chanteuse Amy Millan - également soliste de Stars.

«Qu'ils soient publics ou privés, ces rassemblements d'amis se transforment immanquablement en célébrations. Un signe de santé, je crois, car Broken Social Scene est resté très alerte sur le plan créatif. À ce titre, j'estime que nous avons atteint un sommet avec le Forgiveness Rock Record et l'actuelle tournée. Je dois néanmoins admettre que nous commençons à songer sérieusement aux vacances après avoir passé plusieurs mois ensemble», explique le  polyvalent Charles Spearin (basse, guitare, claviers, trompette, etc.), à qui l'on doit aussi l'excellent Happiness Projectm, un album qui consiste à exploiter le filon de la langue parlée à des fins musicales - à la manière de l'incontournable Trésor de la langue de René Lussier ou encore de Different Trains, fameuse pièce de Steve Reich.

Éreintées à l'approche du concert montréalais, ces bonnes gens de BSS? Charles Spearin se fait rassurant: «N'ayez crainte, nous ne vous négligerons pas! Le public montréalais, d'ailleurs, nous a toujours été favorable. Nous sommes toujours heureux de jouer chez vous, et d'y attirer des fans francophones comme c'est le cas à Québec - ou nous nous produirons dimanche.»

Fondé en 1999 par Kevin Drew et Brendan Canning, Broken Social Scene s'est taillé une réputation béton au milieu de la précédente décennie, ce qui coïncidait avec la sortie d'un album excellent (et sans titre), après quoi le collectif a dû envisager un renouvellement créatif.

«Après la tournée de cet album, explique Spearin, nous étions carrément vidés. Une longue pause  nous fut salutaire, d'ailleurs. Les projets individuels de Kevin et Brendan, sans compter mon Happiness Project,  nous ont donné la chance de prendre du recul, nous ressourcer pour ensuite nous retrouver dans une ambiance beaucoup plus positive. Sincèrement, je crois que nous sommes redevenus un groupe.»

Il y aura la pause de Noël, une série de concerts donnés aux États-Unis jusqu'à la fin février, après quoi...

«Nous retournerons à l'écriture, en groupe ou individuellement, prévoit notre interviewé. N'ayant cessé de jouer, nous n'avons pas écrit depuis un moment. Ce qui nous a mis sur notre appétit! Nous avons beaucoup de nouvelles idées, nous avons hâte de les concrétiser. Le bonheur, quoi! Nous ne ressentons plus la pression de faire nos preuves. Nous avons de l'expérience, nous avons tous créé plusieurs albums, nous continuons à exercer ce métier parce que nous l'adorons.

«Autre facteur intéressant, nous n'avons jamais eu de vrais tubes et nous avons toujours attiré de vastes auditoires. Ainsi, notre cheminement peut ressembler à celui de Sonic Youth. Nos fans ne s'attendent pas au prochain gros succès mais plutôt à l'évolution de notre répertoire.»

Autre caractéristique probante de BSS, plusieurs genres y sont fusionnés sous la bannière indie rock.

«Nous sommes sensibles à plusieurs styles musicaux, sans avoir envie de donner priorité à l'un ou à l'autre. Nous jouons ce que nous aimons. S'il appert qu'un jazzman nous touche pendant un moment, cela risque de rejaillir, c'est ainsi pour une multitude de genres dans lesquels nous trempons nos orteils. Voilà qui évite la redite, en fait. Beaucoup d'air frais accompagne cette démarche d'hybridation. Ainsi le forgiveness rock est devenu un genre en soi! Qui plus est, un art de vivre.»

Ce qui mène Charles Spearin à résumer cette dynamique de création qui règne au sein de BSS. Propension au pardon, tolérance, souplesse et ouverture sont de mise dans un ce contexte collaboratif.

«Travailler avec plusieurs personnes exige à chacun de pardonner pour aller de l'avant, tout en partageant le pouvoir. On ne peut imposer à quiconque une manière de faire, on ne peut s'en tenir qu'à la suggestion. Ainsi, nos chansons s'avèrent plus souvent un travail de groupe. BSS ne compte pas de leader officiel bien que Kevin Drew soit notre rassembleur d'énergies. S'il faut trancher au terme de discussions non résolues, il le fera. Mais il se sera assuré que chacun ait eu l'espace nécessaire pour s'exprimer.

«Mais, de manière générale, la maturité de chacun laisse libre cours aux visions qui se croisent. Vous savez, il n'est certes pas facile de laisser sa propre idée prendre d'autres directions choisies spontanément par tes collègues. Tu dois être disposé à l'accepter. Je suis d'ailleurs très impressionné par mes collègues en ce sens; cette confiance mutuelle nous a rendus plus cohésifs en tant que groupe.»

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Précédé de We Go Magic, Broken Social Scene se produit ce soir, 20 h, au Métropolis.