La semaine dernière, la soprano Marie-Josée Lord lançait son premier opus sous étiquette Atma, album qu'elle a défendu à La Presse en toute humilité. On a rencontré la chanteuse dans un restaurant de la Petite Patrie, pas très loin de son quartier Villeray dont elle dit beaucoup apprécier le rythme après avoir vécu dans différents voisinages de la région métropolitaine où elle réside depuis une décennie.

«Depuis 2004, amorce-t-elle, on m'a approchée plusieurs fois pour que je sorte un album. Je n'étais jamais prête, ce n'était jamais le moment. Au fond, je ne voyais pas la nécessité de faire un album classique. J'estimais que tout avait été dit. Je n'avais pas la prétention d'y ajouter quelques chose. Et je n'ai toujours pas l'impression d'ajouter quelque chose à ces airs!»

Cela étant, Marie-Josée Lord a fini par croire en l'utilité d'une telle opération.

«On a fini par me convaincre. J'ai acquis une certaine maturité, et il fallait répondre à tous ces gens qui me le demandaient. Je devais donc avoir une telle carte de visite. Et puis ça me tentait de travailler avec l'étiquette montréalaise Atma, j'y aime l'atmosphère de travail. D'autant plus que j'ai eu la possibilité de m'impliquer dans la conception de l'album du début  jusqu'à la fin, qu'il s'agisse du choix des pièces, la prise de son ou le graphisme. J'ai eu cette liberté chez Atma.»

Pour la chanteuse lyrique, ce premier album n'a rien de prétentieux parce qu'elle y a a choisi les grands airs avec lesquels elle se sent très à l'aise: Signore, Ascolta ! extrait de Turandot (Puccini), Stridono Lassù d'I Pagliacci (Leoncavallo), Habanera de Carmen (Bizet), l'Air des bijoux de Faust (Gounod), Summertime et My Man's Gone Now de Porgy and Bess (Gershwin), on en passe.

«C'est ce que Marie-Josée Lord préfère et chante le mieux, résume la principale intéressée. Ce sont les airs où ses qualités vocales sont le mieux mises en évidence. Et quelles sont ces qualités? Je vais répéter ce que les gens disent à mon égard: une voix chaude, beaucoup de musicalité, beaucoup d'émotion», échappe-t-elle avec un rire timide, visiblement peu habituée à l'auto-congratulation.

«Nous avons aussi choisi ces airs parce qu'il m'était facile de les enregistrer avec orchestre avec les contraintes de temps, c'est-à-dire 14 heures de studio réparties sur trois jours. Giuseppe Pietraroia qui dirige à Vancouver était disponible pour l'enregistrement, nous l'avons ainsi choisi. Pas évident de trouver des chefs lyriques, vous savez...» Elle devra d'ailleurs en débusquer un pour débusquer afin d'en présenter le répertoire sur scène, au cours de l'année qui vient.

Pour Marie-Josée Lord, le chant lyrique ne doit plus se limiter au répertoire classique. Voilà qui justifie l'ajout de la chanson Le Monde est stone du tandem Berger-Plamondon, que Marie-Josée Lord a interprétée dans la version lyrique de Starmania, un incontournable selon elle.

«Je ne pouvais faire cet album sans cette chanson par laquelle grand public me connaît. Cette chanson s'insère très bien dans le répertoire suggérée, Simon Leclerc l'a arrangée à la Gershwin.»

«Je n'ai pas la prétention de vouloir chanter le populaire. Je traite ma voix comme un instrument mais je ne veux pas me limiter aux airs d'opéra parce que je suis une chanteuse lyrique. De belles mélodies, ça reste de belles mélodies. Si un air comporte les caractéristiques essentielles à l'épanouissement d'une voix, nul besoin de se nommer Puccini pour me convaincre. D'autant plus que les mélodies d'aujourd'hui proviennent de la musique populaire. La seule exclusivité que je garde, c'est la technique classique.»

Cette ouverture affichée par Marie-Josée Lord ne signifie pas un dérapage dans la variété pour autant.

«Conquérir le grand public ne veut pas dire être forcément associé à la pop. Il s'agit  plutôt de trouver un concept qui va capter l'attention. Le problème avec la musique classique, c'est qu'elle est confinée à un contexte qui rebute le grand public. Je trouve ça triste. Alors mon travail consiste à trouver  la meilleure manière de rendre attractif le chant lyrique. Être associée à la pop ne m'intéresse pas vraiment. Ce qui m'intéresse, c'est d'être liée aux gens, au grand public, parce que la chanteuse que je suis lui touche ce grand public.»

Si Marie-Josée Lord fait peut-être partie de cette minorité de chanteuses lyriques soucieuses de déborder son public «naturel», elle fait certes partie d'une minorité visible au sein de sa profession.

«Dans le monde, fait-elle observer, elles sont peu nombreuses mais on en trouve de plus en plus. Il faut dire que mes parents ne m'ont pas poussée au chant lyrique, c'est moi qui ai choisi cette voie. Vous savez, j'étais pianiste au départ.»

Marie-Josée Lord, il faut dire, a grandi dans un environnement qui n'a rien à voir avec la culture afro-antillaise qu'on pourrait lui prêter, sauf son allégeance au chant classique de tradition européenne.

«Puisque que j'ai été adoptée par des parents québécois blancs, j'ai reçu une éducation occidentale. La culture de mes parents est très classique, on m'a appris à m'exprimer dans un français international. J'ai grandi à Lévis, j'ai fait mes études à Québec, soit un environnement totalement blanc. Je suis très reconnaissante de ma famille et de la société québécoise pour m'avoir remise sur les rails.

«En même temps, je ne peux renier mes racines. Il y a toujours quelque chose de mon caractère haïtien qui finit par ressurgir. Mes racines sont en Haïti où j'ai retracé mon frère biologique à qui je parle depuis trois ans.  Je suis originaire d'Haïti, je suis arrivée au Québec à six ans. Je ne suis jamais allée en Haïti depuis mon adoption. Comment suis-je perçue par les Noirs du Québec? Je ne fréquente pas ma communauté depuis longtemps, mais j'apprends à la connaître de nouveau.»

Chose certaine, Marie-Josée Lord compte multiplier les liens avec sa communauté d'origine.

«Je sais qu'une portion de l'élite culturelle haïtienne s'intéresse au chant lyrique. De plus en plus d'Haïtiens éduqués s'y intéressent, d'autres le font aussi parce qu'ils viennent me découvrir.  Que je le veuille ou non, je suis devenue une fierté pour le peuple haïtien. Et je prends exemple sur Michaelle Jean, qui représente les deux cultures.»

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ART LYRIQUE. MARIE-JOSÉE LORD. MARIE-JOSÉE LORD. ATMA CLASSIQUE