Cinquante ans plus tard, Jimmy Cobb n'en revient toujours pas d'avoir enregistré en 1959 à New York avec Miles Davis «Kind of Blue», considéré comme le plus grand album de jazz de tous les temps.

«Personne ne pouvait imaginer que 50 ans après, ça continuerait», confie le batteur américain au sujet de ce disque le plus vendu de l'histoire du jazz, dont des milliers d'exemplaires s'écoulent encore chaque semaine.

Cobb, en pleine forme à 80 ans, est le seul survivant du légendaire groupe de musiciens américains réunis au printemps 1959 par le trompettiste Miles Davis dans les studios de Columbia Records à Manhattan.

En tournée à travers le monde pour célébrer cet anniversaire, il a évoqué pour l'AFP lors d'un passage à Madrid cet enregistrement qui fut particulièrement aisé et rapide, en deux séances.

«Miles est juste arrivé avec quelques idées sur un bout de papier. On a du travailler pour construire à partir de ce peu de choses, mais ça a été facile» souligne Cobb.

Il faut dire que le trompettiste américain, déjà célèbre à 32 ans, avait réussi à rassembler dans l'ancienne église où s'était installée la Columbia, dans la 30e rue, quelques uns des plus grands génies du jazz.

Outre Cobb, il y avait deux saxophonistes, John Coltrane et Julian «Cannonball» Adderley, deux pianistes, Bill Evans et Wynton Kelly, et le bassiste Paul Chambers.

Une seule prise a suffi pour la plupart des morceaux, dont les fameux «So What» et «Flamenco Sketches»: «Miles pensait que le premier coup était toujours le meilleur, sinon c'était du rabâchage».

Résultat: une musique à l'athmosphère envoûtante, un des premiers exemples de jazz dit «modal» basé sur des trames plutôt que les «phrasés» traditionnels et permettant une plus grande liberté mélodique.

Et un enregistrement classé cet année par le magazine Rolling Stone au 12e rang des 500 plus grands albums des tous les temps et dans tous les styles de musiques. Mais ce n'était pas évident au départ.

«On a jamais pensé (que ce serait un tel succès). C'était juste un autre grand enregistrement de Miles Davis où tout le monde avait bien joué», rappelle Cobb.

Ils ont seulement compris qu'il s'agissait de «quelque chose de spécial» en constatant que le disque continuait à bien se vendre un an après son lancement en août 1959, phénomène assez rare dans le jazz.

«Si Miles avait eu la moindre idée de ce qui était en train de se passer, il aurait réclamé des tonnes d'argent et quatre Ferrari à la porte du studio», plaisante Cobb.

La musique élégante et facile à écouter de «Kind of Blue» tranchait avec les mélodies plus «populaires» et moins subtiles de l'époque, estime le batteur, dont le morceau favori est «Freddie Freeloader», à la tonalité bluesy.

Cobb, qui avait accompagné les chanteuses Billie Holliday et Dinah Washington, jouait depuis peu avec Miles Davis (1926-1991), qu'il a quitté quelques années plus tard pour former son propre trio avec Chambers et Kelly.

Sa tournée anniversaire avec un groupe de neuf musiciens, dont le trompettiste Wallace Roney, remporte un grand succès et il a fait salle comble vendredi lors d'un concert du Festival de Jazz de Madrid.

«Ca marche très bien, les salles sont pleines, on est très applaudis, je ne pensais pas que ça pouvait encore arriver pour des musiciens de jazz», souligne Cobb, prêt à célébrer encore longtemps le souvenir de «Kind of Blue».