Louis Lortie n'avait pas enregistré depuis belle lurette, c'est-à-dire depuis l'aube de cette décennie. Voilà que l'Orchestre symphonique de Québec soutient avec ferveur son jeu virtuose et sa direction d'orchestre dans un projet consacré à Felix Mendelssohn, dont c'est le bicentenaire de la naissance. Et le pianiste est ravi des résultats de ce premier album enregistré sur le label québécois Atma Classique. Les Concertos pour piano #1 et 2 de Mendelssohn ainsi que sa Symphonie # 5 Réformation viennent d'être lancés.

Venu passer un mois à sa résidence de Sainte-Anne-des-Lacs avec ses deux adolescents, le pianiste Louis Lortie passe la matinée en ville. En ce début d'août, nous voilà assis confortablement dans le jardin outremontais de la maison Atma. Du pianiste se dégage la prestance des artistes de haut niveau, sans qu'on puisse y déceler le moindre soupçon de vanité ou d'ostentation.

 

Posé, sûr de ses moyens, Louis Lortie se souvient du processus d'enregistrement de son dernier CD comme d'une «histoire abracadabrante». À l'origine, le Berlinois d'adoption devait jouer et diriger les deux premiers concertos pour piano de Mendelssohn tandis que le chef principal de l'Orchestre symphonique de Québec (OSQ), l'Israélien Yoav Talmi, devait diriger la Symphonie «italienne» du même compositeur.

«Je trouvais plus naturel de faire les concertos sans chef, ça se rapproche davantage de la musique de chambre, explique Louis Lortie. Mais Yoav a été opéré d'urgence à Tel-Aviv et a été retenu en Israël au moment même des sessions d'enregistrement. Il m'a alors contacté, et m'a proposé de diriger la Réformation - que j'avais déjà dirigée.

«On venait de la faire en concert mais l'OSQ l'avait beaucoup moins répétée que la Symphonie italienne. Et il fallait tout enregistrer en deux jours. Gros, gros, gros risque! Je l'ai pris avec la garantie qu'on remplacerait cette session par autre chose si l'enregistrement n'était pas concluant.»

Louis Lortie et l'OSQ se sont totalement investis: «Je me suis adressé aux musiciens: Vous êtes fiers de votre orchestre? Il faut y aller, il faut se concentrer, ne pas faire un petit peu de ci ou un peu de ça. Là, il n'y a pas de temps! Quand j'ai écouté l'enregistrement, j'ai donné mon accord. L'orchestre, la prise de son... Cet album est aussi bon qu'un autre préparé dans les délais normalement requis.»

Le pianiste n'a par ailleurs que des louanges à l'endroit du chef Talmi. «Il a accompli un travail formidable avec l'Orchestre symphonique de Québec. Il venait de San Diego, l'orchestre avait été obligé de déclarer faillite. Puis il a brassé la marmite à Québec, et je dis chapeau! Aujourd'hui, l'OSQ est parmi les quatre ou cinq meilleurs orchestres symphoniques au Canada.»

Très heureux de sa relation avec l'OSQ, Lortie n'en était pas à sa première collaboration. «Talmi m'a fait confiance quand on a joué ensemble. Il m'a permis de diriger. Ça s'est très bien passé: c'est ainsi qu'on connaît vraiment un orchestre. Vint ensuite ce projet d'enregistrement dans le cadre de l'année Mendelssohn.»

Felix Mendelssohn, lui? Lortie estime que le compositeur «avait besoin d'être rafraîchi».

«Ça s'ajoute à ce qu'on avait déjà changé dans l'approche de la musique romantique - les relectures de Schubert, Mozart ou Beethoven ont beaucoup aidé à celle de Mendelssohn. La Réformation était jouée autrefois comme une grande symphonie romantique, avec une certaine lourdeur. Alors que maintenant, c'est plus transparent, plus léger. Ce qui permet d'en faire ressortir le contrepoint, une des caractéristiques les plus intéressantes de la musique de Mendelssohn.»

«La Réformation comporte beaucoup de conversation au niveau du contrepoint. C'est presque néobaroque! On sait que Mendelssohn avait redécouvert Bach, tout en préconisant des harmonies plus modernes, plus nouvelles.»

D'un point de vue historique, Louis Lortie se montre plus que séduit par le parcours de Felix Mendelssohn: «L'accession des Juifs à la société allemande est un phénomène fascinant - à ce titre, il faut lire The Pity of It All: A History of Jews in Germany, écrit par Amos Elon. On y découvre que Moses Mendelssohn, le grand-père du compositeur, fut le premier grand philosophe juif en Allemagne. Il fut un modèle pour la bourgeoisie juive émergente en Europe.

«Quant à Felix Mendelssohn, il fut de cette première génération de Juifs convertis, ce qui avait certes créé beaucoup d'inconfort dans sa famille...

Mais il a joué le jeu jusqu'au bout; n'est-ce pas lui qui a relancé Bach? Sa culture musicale était exceptionnelle, à l'instar de son envergure intellectuelle. À l'âge de 16 ans, il créait des chefs-d'oeuvre! Absolument incroyable. Cela dit, Mendelssohn composait de la musique virtuose, mais il n'aurait pas écrit la 9e... Sans être péjoratif, on peut dire que sa musique était plus légère.»

Interrogé au sujet de sa toute première expérience avec le label québécois Atma Classique, Louis Lortie se dit «en réflexion» sur son avenir discographique. «Pendant plusieurs années, rappelle-t-il, j'ai enregistré une trentaine d'albums pour l'étiquette Chandos... et on a eu des problèmes. Jusqu'au tournant des années 2000, j'y avais complète liberté. Puis vint la crise du disque et l'étiquette britannique a fait d'autres choix... Pour moi, l'envie n'y était plus», raconte le musicien.

Atma classique pourrait-elle être la solution? Bien que très satisfait par ce premier album sur le label québécois, Louis Lortie préfère ne pas se prononcer. «On verra», échappe-t-il en fin d'entretien.