Version brésilienne des Beatles, le groupe-culte Os Mutantes n'est jamais complètement revenu des années 60. Entrevue avec Sergio Dias, seul survivant de la formation originale.

Il y a de la visite rare, et il y a de la visite inespérée. Os Mutantes fait résolument partie de la deuxième catégorie. Reformé depuis peu, ce groupe-culte brésilien disparu pendant près de 30 ans est de passage au festival Pop Montréal avec un nouvel album sous le bras (Haih... or Amortecedor) et ce qu'il lui reste de cellules dans le cerveau.

 

Pour les amateurs de musique world et psychédélique, parlons d'un immense événement. Il y a encore deux ans, les «Mutants» n'étaient qu'une autre légende des années 60, dont la seule trace musicale se résumait à l'étonnante compilation Everything Is Possible (parue sur le label Luaka Bop de David Byrne), devenue depuis une référence pour les «hipsters» du monde entier.

Il aura fallu l'invitation d'une galerie d'art londonienne pour que les «Beatles brésiliens», en dormance depuis 1978, décident de reprendre du service.

«Je n'avais aucune idée du mythe qui grandissait autour de nous, raconte le chanteur/guitariste Sergio Dias, seul membre restant de la formation originale, joint au téléphone au Brésil. Mais quand nous sommes remontés sur scène en 2006, je suis tombé en bas de ma chaise. La salle était pleine de jeunes qui connaissaient nos chansons! C'est ce qui m'a donné envie d'en écrire des nouvelles. Car je ne voulais surtout pas que ce retour se résume à notre ancien matériel. Cela aurait été tragique!»

Drogues et dictature

Dire que les Mutantes reviennent de loin n'est pas peu dire.

Associée à la grande famille tropicaliste, mouvement culturel contestataire qui incluait des vedettes en devenir comme Gilberto Gil et Caetano Veloso, la formation a lancé ses trois premiers albums entre 1966 et 1968, dans un pays en pleine dictature.

Leurs chansons étaient loin d'être politisées. Mais que ce soit par leurs textes surréalistes, ou par leur musique, improbable mélange de pop beatlesque, de psychédélisme extrême, d'avant-garde, de rock progressif et de «brasiliana», les Mutantes dérangeaient par leur démarche profondément anarchique.

«Nous sommes chanceux de ne pas avoir été jetés en taule, raconte Sergio. Contrairement à Gil et Veloso, nous avions une image assez propre. Ça nous a probablement aidés. Cela dit, on a parfois dû quitter la scène en vitesse, parce que l'armée s'apprêtait à faire une descente. Sans parler de la censure, évidemment. Je pense que la junte militaire était incapable de supporter notre liberté artistique. C'est par là, j'imagine, qu'ils nous trouvaient subversifs!»

Libres aussi de par leur nombreux voyages au pays du LSD. Car les Mutantes ont, sûrement plus que d'autres, carburé aux explorations lysergiques. Selon Sergio, ces expériences n'ont pas eu que du bon. Si elles lui ont permis de tutoyer le cosmos, elles ont aussi rendu son frère Arnaldo complètement dingue, au point où celui-ci finira par sauter d'une fenêtre, tentative de suicide qui le laissera dans le coma pendant plusieurs mois et qui le rend désormais trop fragile pour poursuivre une carrière musicale.

De rebelles à institutions

Drogués ou non, les Mutantes ont toujours joui d'un immense respect au Brésil. Respect qui ne s'est pas traduit en vente de disques, mais qui leur a permis de mener d'intéressantes carrières solo. Après son départ du groupe en 1972, Rita Lee est devenue une immense vedette de la pop brésilienne. De son côté, Sergio Dias n'a jamais cessé de gagner sa vie comme guitariste et a vécu de son art pendant dix ans à New York, collaborant entre autres avec Flora Purim, John McLaughlin et El Shankar.

Étrange retour du destin. Alors que les tropicalistes se battaient contre les institutions, les voilà statufiés à leur tour. Caetano Veloso est devenu une immense vedette internationale, Gilberto Gil est ministre de la Culture au Brésil, alors que les Mutantes ont été tout récemment honorés par la ville de São Paulo.

«Est-ce une contradiction? Je ne sais pas, conclut Sergio Dias en riant. Tout ce que je sais, c'est que la vie est faite pour avoir du plaisir. Je crois fermement que nous avons l'obligation d'être heureux. Alors tant que je m'éclate et que les jeunes apprécient, tout va bien. Le reste, les médailles, les prix, c'est de la bullshit!»

Os Mutantes, au Théâtre National, ce soir 23h, dans le cadre du festival Pop Montréal.