D'un côté, un artiste réputé, respecté, manifestement heureux d'enfin chanter à Montréal. De l'autre, un public venu le voir pour la première fois et qui flaire un grand soir. Malheureusement, la rencontre entre Jackson Browne et le public montréalais n'a pas eu lieu, hier à la salle Wilfrid-Pelletier.

Pour plusieurs raisons, dont le répertoire. Browne a choisi de chanter des chansons obscures pour qui n'a pas suivi sa carrière à la lettre depuis 35 ans. Oui, il a chanté For a Dancer (1974), Boulevard (1980) et The Barricades of Heaven (1996), mais on ne peut pas vraiment parler de chansons immédiatement identifiables. Il a aussi interprété une demi-douzaine de chansons de son récent album Time the Conqueror; de jolies choses, certes, mais que peu de spectateurs avaient déjà entendues. Qu'il n'ait pas joué à ce public en manque de chansons énergiques la nouvelle The Drums of War est étonnant, d'autant qu'il a choisi Lives in the Balance, une autre chanson politique des années 80, actualisée par une référence au 11 septembre.

Il a fallu attendre une heure avant qu'un succès digne de ce nom fasse son apparition. Doctor My Eyes, une chanson entraînante, a été accueillie par des applaudissements, certains spectateurs ont même crié et deux ou trois se sont levés pour danser. Sitôt la chanson terminée, Browne et ses musiciens ont retraité en coulisses. C'était l'entracte.

Le même scénario s'est répété en deuxième partie. Après une fort belle Too Many Angels et Lives in the Balance, les chansons country-rock peu connues, sans véritable coup d'éclat à l'exception des interventions des choristes et du guitariste Mark Goldenberg, ont provoqué au mieux une réaction polie, jusqu'à ce qu'à la fin, Browne chante The Pretender et surtout Running On Empty, que tout le monde attendait.

Plus la soirée avançait, plus on entendait des spectateurs réclamer Stay. Ç'en était presque gênant puisque Stay n'est pas de Browne, même s'il l'a habilement réinterprétée 17 ans après sa création. Finalement, il ne l'a pas jouée, ce qui ne l'a pas empêché, pour son seul et unique rappel, de chanter I Am a Patriot qu'il a empruntée à Little Steven.

L'autre problème, et il était manifeste hier, c'est que Jackson Browne n'est pas le plus électrisant des artistes de scène. Il bouge à peine et sa voix agréable sur disque devient lassante à la longue. En plus, il s'est gouré deux fois au milieu d'une chanson; pire encore, la deuxième fois, ses musiciens ont tout arrêté alors qu'il venait de leur demander de prendre chacun un solo pour réparer sa bourde.

Pour tout dire, hier soir, Jackson Browne avait l'air plus intimidé que timide. On se demande comment un artiste qui roule sa bosse depuis si longtemps peut s'emmêler dans des présentations qui ne vont nulle part. Quand il a voulu faire un clin d'oeil sympathique et spontané à Montréal et Leonard Cohen pour annoncer sa nouvelle chanson Live Nude Cabaret, il a parlé de beauté et de spiritualité puis s'est rendu compte lui-même qu'il s'embourbait dans un discours vaseux.

Pourtant, Browne avait l'air sincèrement ravi de chanter à Montréal. Il a sans doute oublié que pour un premier contact avec un nouveau public, il faut parfois en donner un peu plus que dans les autres villes.