Bike For Three!, un tandem électro-rap formé par monsieur Buck 65 et madame Greetings From Tuskan, lance un premier disque, More Hearts Than Brains. Pourtant, les deux ne se sont jamais rencontrés. Discussion avec Buck 65 sur une fille qu'il ne veut pas voir et une autre qu'il ne verra plus.

«This is what love looks like, it's unbearable», rappe Buck 65 de sa voix écorchée dans No Idea How. L'idée parcourt tout l'album, qui happe par la noire beauté de ses ruminations poétiques. Probablement son oeuvre la plus personnelle, écrite dans un état de «vulnérabilité extrême».

 

À l'automne 2007, Buck (Richard Terfry) rompt avec sa conjointe, l'arrière-petite-fille de Francis Picabia. Son couple est détruit. Une partie de lui-même aussi. Il quitte Paris pour s'encabaner quelque part au Canada.

En allumant son ordinateur, un matin, il reçoit un message d'une admiratrice sur MySpace. Joëlle Phuong Minh Lê, une artiste électro belge mieux connue sous le nom de Greetings From Tuskan. Terfry découvre alors sa musique.

«J'écoute peu d'électro, avoue-t-il. Dans ma collection de disques, je possède seulement des trucs des années 70 comme Kraftwerk, Gary Newman et Jean-Jacques Perrey, ou du Aphex Twin et du Boards of Canada. De l'électro qui dégage une beauté fragile. Joëlle crée la même chose. Ses pièces agissaient comme un baume sur moi.»

Après quelques courriels, elle propose qu'ils travaillent ensemble. Terfry reçoit donc un premier fichier musical. Quelques heures plus tard, il écrit ce qui deviendra le texte de All There Is To Say About Love.

La collaboration se poursuit d'un côté à l'autre de l'Atlantique. Joëlle compose chaque pièce - des rythmes électros - expressément pour lui. «Comme un cadeau», dira-t-il. Il y purge sa douleur en déchargeant un flot de rimes. Et en essayant de comprendre ce qui lui arrive.

«Tu sais, je n'ai jamais vraiment bu ou pris de drogue, raconte-t-il. Je ne suis pas du genre à fuir la douleur. Au contraire, j'évite même de prendre des pilules quand j'ai mal à la tête. Si une chose m'effraie, c'est l'ennui. Et là, je ne m'ennuyais pas. Quelque chose d'important se passait. Je voulais être complètement lucide pour comprendre.»

More Heart Than Brains révèle le chaos qui secouait sa tête. Ses lubies passagères aussi. Dans Lazarus Phenomenom, clin d'oeil au personnage biblique et au phénomène médical, Terfry avoue avoir cru que sa relation ressusciterait, sous sa forme passée ou sous une autre, dans un nouveau lieu.

Restons des inconnus

Dans Let's Never Meet, Terfry oublie ses problèmes pour s'adresser directement à Joëlle.

Les deux se sont déjà parlé brièvement au téléphone. Mais ils ne se sont jamais rencontrés. Et ils ne veulent pas le faire. «Nous avions pourtant plusieurs occasions, raconte-t-il. Mais on les a évitées. À un certain moment, j'ai réalisé que cet anonymat nourrissait notre collaboration. Je veux garder ce mystère. Joëlle aussi.»

Pas de projet de tournée, donc. Terfry ne s'en formalise pas. Car au départ, le disque ne devait même pas paraître. «On créait simplement pour créer, explique-t-il. L'idée de vendre les chansons sous le nom de Bike For Three! est venue plus tard. Et honnêtement, elle m'a terrorisé. Jamais je n'ai écrit des textes aussi personnels. Seuls mon ex et moi pourrons comprendre toutes les références. Vouloir partager cela avec des inconnus, c'est de la folie.»

Sa pudeur devrait être un peu ménagée. Sa comparse voulait lancer le disque, mais elle refusait de le faire avec Warner, l'étiquette de Buck 65. More Heart Than Brains paraît sous Anticon, une petite étiquette indépendante américaine sans trop de budget de promotion.

«Encore une fois, je ne pensais jamais rendre ces textes-là publics. Alors même si c'est un échec commercial...»

Bizarrement bien

Le tandem a déjà commencé à travailler au deuxième disque. Il s'écrira dans un contexte différent. Terfry s'est marié il y a deux semaines. Et au lieu de discuter avec ses quatre murs chez lui, il parle chaque après-midi dans la nouvelle émission qu'il anime à CBC Radio 2.

Malgré tout, il ne produira probablement pas de disque ensoleillé. Il tend instinctivement vers la lourdeur plus que vers la légèreté. Vers des phrases comme: «Sometimes, it's pretty when things are destroyed».

Vers la 40e minute de notre interview, il essaie d'expliquer pourquoi. «Peut-être que je trouve quelque chose de romantique dans la douleur. J'y ai beaucoup réfléchi dans les dernières années. Je pense que ça vient de mon enfance. J'habitais un petit village très modeste de la Nouvelle-Écosse. Ce n'était pas loin de l'extrême pauvreté. La ville était morte, il n'y avait rien à faire. Nos seules activités, c'étaient le baseball et flâner au dépotoir. Les carcasses de voitures étaient ce qui ressemblait le plus à un musée. Pour les visiteurs, c'était la désolation. Pas pour moi. Je me suis habitué à libérer mon imagination là-bas. Et bizarrement, ça me faisait me sentir bien.»