Mastodon a accouché d'une autre bête étrange et fascinante, Crack in the Skye. Le quatuor d'Atlanta la présentera lundi au National. On en discute avec le batteur Brann Dailor.

Vers 3h, le 10 septembre 2007, Brent Hinds quitte le casino-hôtel Mandalay Bay, hôte des MTV Music Video Awards. Le guitariste de Mastodon titube. Ivre mort, encore.

 

Il fouette un t-shirt mouillé dans les airs. Un peu trop près du visage de Shavo Odadjian (bassiste de System of a Down) et de son ami. La suite est un peu nébuleuse. Ce qui est certain, c'est que Hicks reçoit des coups. Il tombe sur le pavé. Son crâne se fracture. Le coma dure trois jours. Il meurt presque de l'hémorragie. Trois jours plus tard, il se réveille à l'hôpital.

«Brent a commencé à composer en convalescence chez lui, raconte Brann Dailor. Il se réveillait tard, se traînait jusqu'au sofa et grattait sa guitare. Il écrivait, écrivait et écrivait. Je recevais des textos à 1h du matin, du genre: man, j'ai trouvé un riff génial, faut que t'entendes!».

Ainsi est né Crack the Skye. Hinds avait la tête dans le brouillard et cela paraît. Après le feu, l'eau et la terre, Mastodon boucle son cycle sur les éléments avec ce disque qui flotte dans l'éther.

C'est probablement leur plus ambitieux. À classer avec le précédent, Blood Mountain, parmi les grands disques de rock métal des dernières années. Progressif, stoner, furieux et techniquement renversant. Et vaporeux comme jamais dans les textes.

En gros, un paraplégique se tape un voyage astral. Tel Icare, il monte vers le soleil. Sa chute se transforme en voyage dans le temps. Il aboutit dans le corps de Raspoutine alors qu'on complote son assassinat. Il s'échappe puis affronte le diable en face à face avant de retrouver son corps.

Oui, Mastodon a déjà consommé de l'acide. Mais ce n'est pas la seule inspiration. Car la douleur constitue parfois le plus puissant hallucinogène.

«I see your face in constellations», entend-on dans The Czar. En écrivant cette phrase, Dailor pensait à son adolescence. Durant notre entretien téléphonique de 20 minutes, il ne semble pas vouloir replonger dans ses souvenirs. Résumons donc à sa place.

Ado, il a grandi à Rochester, dans l'État de New York. Le beau-père bat la petite famille. Sa soeur Skye se tient droite devant les coups. La volée est d'autant plus grande. Un jour, elle revient d'une journée humiliante à l'école. C'en est trop. Elle avale une poignée de pilules.

Quelques jours plus tard, Dailor visite la tombe de sa soeur. Gelé sur l'acide, il tente de la déterrer avant de se laisser choir par terre. C'est là qu'il l'imagine parmi les étoiles.

Égoïsme salutaire

«Faut pas croire que je suis un être torturé, tient à préciser Dailor. J'ai vieilli, tout ça est derrière moi. J'aime la vie, je m'amuse comme un fou derrière ma batterie.»

C'est ce qu'il s'apprêtait à faire, quelques heures après notre conversation, en concert à Albuquerque. La tournée s'arrête lundi, au National. Mastodon commencera la soirée en jouant intégralement Crack the Skye - comme il doit être écouté - avant d'offrir quelque 40 minutes de vieux matériel.

À quoi s'attendre visuellement? «Faut garder une surprise. Disons que tu verras l'espace se déplier en direct...»

Cette grandiloquence, le groupe l'assume aussi musicalement. L'été dernier, le bassiste Troy Sanders nous indiquait en interview que le prochain disque miserait sur des riffs plus simples. Il n'en est rien finalement. «C'est toujours difficile de prévoir à l'avance, justifie Dailor. Nous sommes égoïstes. On joue ce qui nous plaît sur le moment.»

Le fan de Zappa, King Crimson, John Coltrane, Stevie Wonder, Neurosis et des Melvins a pondu un autre disque à la hauteur de ses influences, et un tout petit peu adouci par la réalisation de Brendan O'Brien (Pearl Jam, Bruce Springsteen), natif d'Atlanta, comme le groupe.

«C'est facile de travailler avec Brendan. Son approche est naturelle et organique. Et nous? Disons qu'on essaie de composer de la musique qu'on ne serait pas embarrassés de jouer devant Peter Gabriel.»

Mastodon, en concert le 4 mai, à 19h30, au National, avec Kylesa et Intronaut.